Chapitre XXVIII
Le Plan du Viêtnam au Cambodge
Le nombre des colons vietnamiens envoyés s'installer au Cambodge
Depuis 1979 jusqu'au mois de Mai 1989, les autorités de Hanoï ont, conformément à leur programme planifié, systéma-tiquement envoyé des colons viêtnamiens composés d'Anciens Combattants viêtminhs et viêtcongs s'installer au Cambodge no-tamment dans les 6 principaux endroits stratégiques suivants :
1. Dans les 14 sroks (districts) suivants: Partie Est du Mékong: Péal-Rô, Péam-Chor, Kampong-Trabêk (pro-vince de Prey-Vèng), Prasaut, Chantréar et Kampong-Rô (province de Svay-Rieng); partie Sud du pays: Kampot, Touk-Méas, Kampong-Trach, Kirivong, Prey -Kabas, Koh-Andêt, Koh-Thom et Loeuk-Dêk. Dans ces districts, les colons viêtnamiens constituent au-jourd'hui environ 75% de la population (les pourcen-tages varient entre 60 et 90% selon les districts), avec une moyenne de 35.000 colons par district. En tout, dans ces 14 districts, il y a environ 500.000 colons viêt-namiens.
2. A Phnom-Penh et dans ses banlieues, il y a environ 200.000 colons viêtnamiens.
3. Dans les régions côtières de la province de Koh-Kong, à Kampong-Som, dans les districts de Saâng, Kiên-Svay, Lovéa-Em et Ponhéa-Loeu (province de Kendal), dans les dictricts de Roméas-Hêk, Samrong et Rum-doul (province de Svay-Rieng) et dans les districts de Ponhéa-Krêk (province de Kampong-Cham), en mo-yenne, les colons viêtnamiens forment 30% de la po-pulation. En tout, il y a environ 250.000 colons viêtna-miens.
1. Sur les rives du fleuve de Tonlé-Thom (Mékong), de Rocar-Kong, au nord de Phnom-Penh jusqu'au district de Sambor dans la province de Kratié, il y a environ 150.000 colons viêtnamiens.2. Sur la rive du fleuve de Tonlé-Sâp, de Préak-Kdam à Chnok-Trou (district de Bâribo, province de Kampong-Chhnang), il y a environ 250.000 colons viêtnamiens.3. Dans les régions du Cambodge telles que les provin-ces de Pursat, Battambang, Siemréap, Préah-Vihéar, Kampong-Thom, Stung-Trèng, Mondoul-Kiri, Ratta-nak-Kiri, il y a environ 350.000 colons viêtnamiens.Au total, il y a aujourd'hui au Cambodge, environ 1.700.000 colons viêtnamiens (situation au 7 Mai 1989).Les forces viêtnamiennesactuellement au CambodgeIl y a actuellement au Cambodge (l'Etat du Cambodge), 2 catégories de forces viêtnamiennes.Catégorie ILes Divisions engagées dans les combats· La Division no5 (75) qui règne sur des activités dans le nord de Sisophon (partie du Nord Ouest du Cambodge);· La Division no309 (59) stationnée à Kampong-Puoy pour défendre Battambang, Païlin et mener des activités au Sud de Sisophon (Nord-ouest du Cambodge);· La Division no330 (90) pour défendre la RN10 et mener des activités à Samlaut, province de Battambang (Ouest du Cambodge) ;· La Division no339 (99) stationnée à Léach, province de Pursat (Ouest du Cambodge);· La Division no302 qui défend Ouddar-Méanchey et Siem -réap (Nord du Cambodge);· La Division no307 stationnée auparavant à Choam-Khsân, province de Préah-Vihéar et maintenant à Ta-Sèng (dans la province de Kampong-Thom), là où se rencontrent les délimitations des 3 districts de Staung, Rovieng et Chil-krèng;· La Division no315 stationnée à Choam-Khsan (province de Préah-Vihéar).Toutes les Divisions stationnées dans la région occidentale du Cambodge sont placées sous le commandement du Front 479. Les autres divisions sont sous le commandement conjoint des Fronts 579, 478 et 779. A noter que toutes ces divisions n'-ont pas leurs effectifs au complet à cause des lourdes pertes subies au cours des 10 années précédentes, et ce malgré les ef-forts faits par le Viêtnam pour y envoyer successivement de nou-veaux renforts.Deuxièmement, la plupart des forces viêtnamiennes sont obligées de s'éparpiller dans les villages et communes. C'est la raison pour laquelle, depuis 1985, pendant 4 saisons sèches et 4 saisons des pluies, les viêtnamiens n'ont pu mobiliser leurs forces pour mener des activités militaires de grande enver-gure. Aucune division viêtnamienne n'est en mesure seule de mener des activités militaires. Les viêtnamiens sont obligés de prélever 1 ou 2 régiments des différentes divisions pour les en-voyer défendre là où l'appareil administratif des villages du ré-gime khmer de Phnom-Penh et leur réseau de positions fortifiées le long de la frontière sont démantelés ou menacés par les forces de la résistance nationale du Cambodge.Catégorie IILes unités statiques au CambodgeEn plus des Divisions ci-dessus mentionnées, les viêtna-miens ont des unités militaires pour administrer et maintenir le pouvoir sur tous les plans dans les provinces:- Régiment n° 7701 à Kampong-Thom,- Régiment n° 7702 à Kampong-Cham,- Régiment n° 7703 à Svay-Rieng,- Régiment n° 7704 à Battambang,- Régiment n° 7705 à Siemréap,- Régiment n° 7706 à Prey-Vèng,- Régiment n° 7707 à Kratié,- Régiment n° 7708 à Kendal,- Régiment n° 5501 à Mondoul-Kiri,- Régiment n° 5502 à Rattanak-Kiri,- Régiment n° 5503 à Stung-Trèng,- Régiment n° 5504 à Préah-Vihéar,- Régiment n° 9902 à Kampong-Chhnang,- Régiment n° 9903 à Pursat,- Régiment n° 9904 à Kampot,- Régiment n° 9905 à Takèo,- Régiment n° 9907 à Koh-Kong.Les unités dont le numéro commence par 7 sont envoyées de la 7ème Région militaire du Viêtnam qui a des frontières com-munes avec les provinces de Kampong-Cham et Svay-Rieng du Cambodge. Les unités dont le numéro commence par 5, sont envoyées de la 5ème Région militaire au Viêtnam qui a des fron-tières communes avec les provinces de Mondoul-Kiri et Ratta-nak-Kiri au Cambodge. Les unités dont le numéro commence par 9 sont envoyées de la 9ème Région militaire du Viêtnam qui a des frontières communes avec les provinces de Takèo et Kampot au Cambodge. Au total, les forces viêtnamiennes opérationnelles au Cambodge comprennent 150.000 hommes.Le Plan du Viêtnampour dissimuler ses Forces en vue de contrôlerle Régime de Phnom Penh dans tous les domainesLe Viêtnam a annoncé à la communauté mondiale qu'il re-tirait ses forces d'agression du Cambodge en Septembre 1989. Cette annonce viêtnamienne n'est qu'une manoeuvre trompeuse. En effet le Viêtnam:1- continue de rejeter un contrôle et une supervision internationaux efficaces du retrait de ses forces;2- continue de poser plusieurs conditions à ce retrait.Parallèlement à cette annonce mensongère, Hanoï déploie de grandes activités au Cambodge pour y dissimuler ses forces en vue de continuer à contrôler tout l'appareil d'Etat du régime fantoche. En prévision de l'éventualité où la communauté mon-diale exercerait des pressions telles qu'elles seraient obligées de retirer leurs forces du Cambodge, les autorités viêtnamiennes:1- ont ordonné à leurs soldats d'aller vivre dans les villa-ges du Cambodge. Certains de ces soldats parlent le khmer alors que certains autres sont en train de l'étu-dier. La plupart d'entre eux viennent du Sud-Viêtnam.2- ont organisé des cours de langue khmère pour leurs ca-dres militaires, du sous-lieutenant au commandant. Ces cadres sont ensuite envoyés vivre, comme simples cito-yens, dans les villages, communes et districts parmi la population khmère. Ils sont mariés à des femmes khmè-res et ont reçu la nationalité khmère. Ils ont déclaré qu'-après le retrait des troupes viêtnamiennes, ils deman-deront la permission de vivre au Cambodge.La plupart de ces cadres militaires viêtnamiens viennent du Nord. Ils ont été formés au Viêtnam pour l'espionnage et envo-yés au Cambodge pour ouvrir des écoles d'espionnage à Phnom-Penh (école Bak-Tôuk), dans la province de Battambang (à l'est de Anloung-Vil), dans la province de Siemréap (en face du mo-nument Angkor Watt, sur la route conduisant au monument Ang -kor Thom) et dans toutes les autres provinces pour former des hommes et des femmes viêtnamiens et khmers comme espions. Selon les documents et les déclarations qui ont été rassemblés, l'objectif viêtnamien peut être récapitulé de la façon suivante:A- Hanoï a une stratégie à long tenue de dissimuler ses for-ces dans les villages, communes et districts;B- La plupart de ces forces viêtnamiennes dissimulées sont membres du Parti communiste viêtnamien ou de la Ligue de la Jeunesse communiste viêtnamienne qui ont pour mission de contrôler le soi-disant "Parti Révolutionnaire" et la "Ligue de la Jeunesse Révolutionnaire" du régime de Héng Samrin, du sommet jusqu'à la base. A travers ses forces, le Viêtnam continue d'exercer son autorité sur tout l'appareil d'Etat, militaire et civil, les associations d'hommes ou de femmes, notamment les unités des fem-mes connues sous le nom de "Néari Pram Laâr" (unité de 5 femmes de bonnes qualités).Le but immédiat du Viêtnam est de contrôler l'appareil d'-Etat du régime de Phnom-Penh dans tous les domaines pour s'-opposer aux forces de la RNC (Résistance Nationale du Cam-bodge). Le but stratégique du Viêtnam est de transformer ses ca-dres en khmers, en les faisant épouser des femmes khmères et avoir des descendants khmers, afin de dissimuler davantage les marques de nationalité viêtnamienne et faciliter leurs activités pour développer et diriger dans tous les domaines toutes les for-ces nécessaires en vue d'atteindre leur objectif stratégique de Fédération Indochinoise.Message de Samdech Norodom SihanoukPrésident du Cambodgeaux Sihanoukistes authentiquesMes bien-aimés Kaunchau,Le présent Message ne s'adresse pas aux faux Sihanoukistes qui, depuis plusieurs mois déjà, font tout pour me discréditer aux yeux de notre peuple et de la Communauté internationale. Avec ces "Sihanoukistes"-là, je décide de ne plus avoir de relations. Mais il reste des Sihanoukistes khmers et étrangers qui, contre vents et marées, continuent à me rendre justice et à comprendre mes motivations patriotiques.Dans le présent MESSAGE, je m'adresse à ces Sihanou-kistes authentiques et qui savent qu'à l'heure actuelle la Com-munauté Européenne et certaines autres puissances du Monde Libre ont décidé (et vont continuer) de couler notre Résistance Nationale (RNC) anti-Colonialiste viêt. En me dissociant de la RNC, j'avais cru que l'Occident, etc... m'accorderaient plus d'es-time et de considération, et cela en raison de mon éloignement de la PKD khmère-rouge. Mais mon espoir s'est avéré complète-ment vain. Certains milieux (gouvernements et mass media y compris) du Monde Libre ont profité de mon éloignement de la RNC pour m'accabler sous le poids de leur mépris et pour fa-voriser outrageusement le régime des traîtres à la Patrie khmère.A l'heure actuelle, notre Cambodge a perdu déjà une partie de son territoire national, terrestre et maritime, au profit du Viêtnam. Il y a dans le reste du Cambodge, plus d'un million de colons viêtnamiens qui volent sans vergogne nos terres et pillent systématiquement nos ressources nationales. Dans plusieurs par-ties du Cambodge, nos compatriotes deviennent des citoyens de seconde classe, jouissant de droits moindres que ceux octroyés aux colons viêts, devenus "citoyens de 1ère classe" du Cambodge de Hun Sèn & Héng Samrin-Chéa Sim, et une minorité ethnique dans leur propre pays.En outre, les troupes de Hanoi" sont revenues en force au Cambodge pour reprendre à la RNC les zones libérées. A l'-heure actuelle, notre RNC se trouve à un tournant très dange-reux de son existence. Et si notre RNC meurt, ce sera le Cam-bodge indépendant et son intégrité territoriale terrestre et mari-time qui mourront. Le Cambodge actuel sera un second Champa et un second Kampuchéa-Krom. Quand il s'agit de lutter pour l'Indépendance totale et l'intégrité territoriale terrestre et mari-time de ma Patrie, je n'ai jamais baissé les bras face à mes ad-versaires successifs, qu'ils fussent Colonialisme français, Impé-rialisme américain ou autre.A l'heure actuelle, certains gouvernements, certains parle-ments, certains mass media (presse écrite, radio, télévision) s'at-taquent à moi pour m'humilier et me discréditer au maximum, et pour me couler moralement et politiquement. Je sais que dans ma lutte patriotique je n'ai que bien peu de chance de remporter le succès final pour le salut de la Patrie. Mais, même avec une chance bien mince de réussite, je continuerai à lutter pour un Cambodge totalement indépendant, dans son intégrité territo-riale terrestre et maritime. Aujourd'hui, je me replace à la tête de la RNC si Son-Sann (FNLPK), Khieu-Samphan (FGUNPKD) et S.A.R. le prince Norodom Ranariddh (FUNCINPEC-ANKI) le veulent bien. Je sais que si je me replace à la tête de la RNC, je serai encore violemment attaqué par les faux Sihanoukistes, l'Occident et autres. Mais je n'ai pas le choix: ou bien je laisse le Colonialisme viêt gagner cette bataille homérique au Cam-bodge et laisser mourir ma Patrie en tant qu'un Etat indépen-dant dans son intégrité territoriale terrestre et maritime, ou bien je lutte pour la libération totale de ma Patrie à la tête de la RNC.Dans une telle lutte, qui est une question de vie ou de mort pour le Cambodge, seule l'union de toutes les forces patrioti-ques donne à notre Patrie une chance de gagner la bataille .fi-nale. Si nous luttons en ordre dispersé, nous ne ferons que le jeu de nos Ennemis et de leurs supporters. Si la RNC est unie et non dévissée, elle sera forte et aura une chance de remporter la victoire finale. Si elle est divisée elle sera méprisée et maltraitée au maximum par les puissances étrangères, lesquelles auront grandement raison de prédire la victoire finale du Colonialisme viêtnamien et de ses valets khmers.Mais si, en dépit de critiques acerbes et d'accusations de tels ou tels milieux étrangers et khmers qui ont intérêt à la couler, notre RNC "tient le coup" face à tous les "ouragans" politiques, diplomatiques et autres que font et feront souffler les supporters du Colonialisme viêt et du régime des Quisling de Phnom-Penh, notre lutte aura une chance d'être, à la longue, victorieuse. Comme l'a dit récemment un grand général du Sud-est asiatique: dans cette guerre au Cambodge, le camp le plus patient, le plus tenace, le plus persévérant sera inévitablement le vainqueur.Notre RNC sera, à coup sûr, la plus patiente, la plus tenace et la plus persévérante. En plus nous mettons dans notre juste lutte toute notre foi patriotique. Et nous savons que nous défen-dons la bonne cause: la seule cause qui soit bonne, puisqu'il s'agit de la survie de notre Patrie sacrée, le Kampuchéa.Le 30 Avril 1990Signé:NORODOM SIHANOUK du CAMBODGERapport de M. Raoul JennarConseiller Diplomatique des ONG(Document RMJ / 12 du 22 Avril 1991)Les 325.804 otagesLes Cambodgiens enfermésdans des camps en ThailandeL'objet du présent document n'est pas de fournir une ana-lyse systématique de la situation particulière des 341.040 (325.804 + 15.236) réfugiés cambodgiens qui vivent en Thai-lande à quelques kilomètres de la frontière de leur pays. Celle-ci est connue. Des études nombreuses ont été publiées (voir bi-bliographie, in fine).Notre propos est davantage de tenter d'insérer cet élément particulier dans l'ensemble de la problématique cambodgienne. Nous allons nous employer à remettre en perspective une ques-tion qui a trop longtemps été isolée de son contexte.La politique menée par la Chine et l'Occident depuis 1979 a en effet considéré comme seul Cambodge existant celui repré-senté par les 3 factions réunies au sein de ce qu'on appelle com-munément la Coalition. Hostiles au régime de Phnom-Penh, elles assoient une partie de la légitimité qu'on s'est employé à leur conférer sur le contrôle qu'elles exercent sur les populations réfu-giées et dont elles se prétendent représentatives. Nous verrons ce qu'il est.Il y a les camps, mais il y a aussi, phénomène rendu possi-ble par le retrait des troupes viêtnamiennes en 1989 et la fai-blesse de l'armée gouvernementale, les zones que la Coalition baptise zones libérées, appellation très sujette à caution puisqu'-en fait les populations de ces zones ne sont pas plus libres que par le passé. Elles ont seulement changé de maîtres. Elles n'ont acquis aucune liberté civile ou politique.Les notes qui suivent reflèteront également un débat de fond qui anime de plus en plus les ONG (Organisations Non Gou-vernementales) et certaines agences internationales: dans quelle mesure l'action humanitaire ne contribue-t-elle pas à alimenter la guerre civile?Les camps1- Dans 6 des 7 camps, qui regroupent 325.804 person-nes, celles-ci n'ont pas le statut de réfugiés et ne jouissent dès lors pas des protections garanties par ce statut. Seul le camp de Khao-I-Dang compte 15.236 personnes qui bénéficient de ce statut et qui sont placées sous la protec-tion du HRC (Haut Commissariat pour les Réfugiés de l'ONU). Cette situation est le résultat d'une volonté poli-tique: celle de la Thailande, volonté qui s'est manifestée depuis 1979. Sous le gouvernement démocratique du gé-néral Chatichai Choonhavan, l'idée d'un camp neutre avait été avancée. Les Etats-Unis l'avaient rejetée pour conserver à la Coalition les atouts que représente le con-trôle de ces populations: utilisation de l'aide humanitaire pour les forces militaires, utilisation des populations ré-fugiées comme source de légitimité, utilisation des popu-lations des camps comme réserve pour le recrutement des troupes.2- Le régime militaire qui vient de renverser la jeune démocratie thailandaise n'est pas davantage favorable à l'amélioration du sort des populations enfermées dans les camps. Très concrètement, cela signifie qu'une fois entré dans le camp, l'expatrié est totalement soumis à un dou-ble contrôle: celui de la faction politique qui administre le camp et celui de l'armée thailandaise. Sauf exception (et il y en a), l'expatrié ne peut plus quitter le camp. Il ne peut en aucune façon retourner au pays s'il le souhaite. S'il veut survivre, il doit se soumettre.3- Les habitants des camps sont loin d'être des adeptes4- enthousiastes et résolus de la faction politique qui les contrôle. Nous ne comptons plus le nombre de simples particuliers qui nous ont dit en substance: "Il n’y a pas de problème entre les khmers, il n’y a de problème qu'-entre les Chefs politiques qui se battent pour s'emparer du pouvoir et qui ne se soucient pas des malheurs du peule". Incontestablement, les habitants des camps, dans leur immense majorité, ne se sentent pas représentés par les chefs politiques khmers, quels qu'ils soient. Ce qu'ils ressentent profondément, c'est la conviction d'être des otages et de servir de chair à canon. Il suffit d'observer l'-accueil très réservé, pour ne pas dire l'hostilité, que té-moignent les cambodgiens du camp HCR de Kao-I-Dang (le seul à ne pas être sous le contrôle d'une faction) lors qu'y viennent des leaders de factions.Ce camp, le seul où les cambodgiens jouissent d'une totale liberté politique, offre à l'observateur l'occasion d'apprécier l'opi-nion qu'ils se font des leaders politiques. On s'étonnera d'ailleurs que l'HCR accepte de telles visites. Les interviews faites de per-sonnes ayant fui récemment le Cambodge permettent d'affirmer: ce qui vient d'être observé à propos des factions de la Coalition peut l'être également à propos du régime de Phnom-Penh. Si la première motivation du départ est la fuite des zones de combats, la deuxième qui statistiquement suit de très près, c'est le refus de la conscription obligatoire. C'est aussi la fuite de la répression qui frappe les familles de ceux qui, pour se soustraire à la cons-cription, sont "châul prei: entrés dans la forêt". Ces familles sont traitées par les gouvernementaux comme des "khmaing", des ennemis.En fait, on ne risque guère de se tromper en affirmant que l'immense majorité des cambodgiens renvoient dos à dos ceux qui prétendent s'exprimer en leur nom et les représenter. C'est pour cette raison qu'ils fondent tant d'espoirs dans la présence future de l'ONU. Cette espérance est si forte qu'elle conduit à formuler des voeux dont l'irréalisme n'empêche pas de compren-dre le sens profond. Ainsi, un intellectuel de gauche, qui a perdu plus de 20 membres de sa famille pendant la période 1975-1979, me déclarait: "Il faudrait que l'ONU reste au Cambodge aussi longtemps que cela qui ont 40 ans ou plus aujourd'hui sont en-core en vie ".A- La population des camps, comme celle du Cambodge, est très jeune: plus de 50% ont moins de 15 ans. Ce n'est pas sans conséquence politique. Ainsi que le faisait remarquer une responsable de l'UNBRO: "Cette guerre civile, n'est pas la leur. Ils ne la comprennent pas. Ils ne l'acceptent pas. Elle les prive de tout ce qu'ils attendent de la vie. Ils veulent rentrer au pays, travailler, s'amuser et, eux aussi, disposer de tous ces biens de consomma-tion dont ils ont toujours été privés".B- On ne peut s'empêcher d'être frappé par la manière dont les responsables politiques et militaires des 3 factions de la Coalition traitent les populations sous leur contrôle. On pourrait penser qu'il y aurait un effort tout particulier consenti par les formations politiques de la Coalition pour se gagner d'adhésion de ces populations. Il n'en est rien! Certes, les factions ne négligent pas ce qui peut leur être utile et on observe, principalement au Site 2 (sous contrôle du FNLPK), mais aussi, dans une mesure moin-dre au Site B (sous le contrôle des Sihanoukistes) et au Site 8 (sous le contrôle des khmers-rouges), des efforts dans les domaines de la formation. Mais le respect et la considération pour la dignité des personnes et la recon-naissance de leur autonomie sont inexistants. La seule démarche politique dont les leaders semblent capables, c'est la contrainte.Les réfugiés sont une masse utile. Rien de plus. Cette per-ception qu'en ont les responsables des factions se traduit dans les comportements de tous les jours. Qu'il s'agisse des relations de maîtres à sujets imposées par les Sihanoukistes à ceux qu'ils contrôlent, véritable résurrection d'un système féodal, qu'il s'a-gisse des exactions commises par la soldatesque FNLPK ou du règne des gangs qui gravitent autour de ce mouvement, ou qu'il s'agisse de la discipline de fer imposée par les hommes de Pol Pot, chaque fois, on observe la même négation des Cambod-giens dans leur dignité d'êtres humains.Une telle attitude de la part de groupes politiques qui s'en-gagent, dans les discussions diplomatiques, à respecter les Droits de l'Homme et à appliquer les conventions internationales exis-tantes justifie à tout le moins la réserve et le doute. Un propos illustre le souci de la Coalition à l'égard de la population: "Nous avons réussi à vous voler 7.500 réfugiés" déclarait avec fierté un dirigeant FNLPK à une responsable du UNHCR en parlant de personnes retirées du camp de Khao-I-Dang où elles jouissaient du statut de réfugiés et où elles pouvaient nourrir l'espoir de s'installer dans un pays d'accueil des Cambodgiens? Du gibier, rien de plus.C- La violence sévit dans les camps. Qu'il s'agisse des camps dont l'UNBRO à la charge ou du camp UNHCR, les conditions de sécurité sont loin, très loin d'être satis-faisantes. Remplaçant la Task Force 80 de sinistre mé-moire, les Thailandais ont créé une "Displaced People Protection Unit" (DPPU) qui est chargée de la protection des camps. Même si, à l'instar des soldats de la Task Force 80, ceux de la DPPU tirent sans sommation, l'a-mélioration est sensible. Spectaculaire même. Mais si les cambodgiens semblent avoir moins à craindre aujourd'-hui de ceux qui sont chargé de leur protection, ils ne doivent cependant pas attendre de la part de la DPPU une protection effective. Si les soldats thais tuent, violent, volent plus rarement, ils ne prennent en tout cas aucun risque pour faire barrage à ceux qui menacent les cam-bodgiens: bandits thais, déserteurs de tous les camps, pil-lards, rançonneurs, trafiquants ou... recruteurs. "Site B", le camp du prince Sihanouk, à juste titre réputé, lors de notre précédente visite en 1988, comme le meilleur des camps est aujourd'hui un de ceux où la vie est la plus dif-ficile et la plus dangereuse. Les occidentaux des ONG doivent obligatoirement quitter les camps avant la tom-bée de la nuit. Alors des milliers d'hommes, de femmes, de vieillards, d'enfants, sont livrés à la lie de l'humanité. Dans l'indifférence la plus totale...D- Dans un tel contexte, la promotion des Droits de l'-Homme relève de l'urgence. On s'en rend compte, la no-tion d'état de droit échappe totalement à l'entendement de la plupart des cadres politiques cambodgiens. La force qui s'impose à tous n'est pas celle du droit, mais celle que confère, soit le prestige d'une position (par exemple: un rang dans un service administratif), soit le statut social (appartenir à une famille dont un membre occupe une position importante), soit la richesse, fut-elle relative, soit la violence.Cette observation n'est pas encore propre aux camps en Thailande. Elle caractérise la société cambodgienne dans son ensemble telle qu'elle s'est développée depuis l'indépendance, telle qu'elle renaît peu à peu, après les tragiques années 70. S'il s'agit de se préparer à la paix pour reconstruire le pays et y ins-taller une démocratie, le moins qu'on puisse en dire, c'est que la démarche n'est pas encore entamée.Les Droits de l'Homme ne sont pas respectés. Ils sont çà et là enseignés. Ils ne sont guère encouragés. Malgré quelques initiatives (la publication d'un journal indépendant, le "Khmer Citizen News Bulletin" au Site 2; un groupe de promotion des Droits de l'Homme - le Charter 89 au Site 2; un autre à Khao-I-Dang...) dont on s'étonne qu'elles ne soient pas plus vigoureuse-ment soutenues par les agences internationales; la situation qui prévaut dans chaque camp est celle d'un régime à parti unique qui impose sa loi et pratique l'arbitraire.Sans doute, faut-il, çà et là, nuancer les situations, mais la caractéristique dominante est celle d'un système autoritaire. Ain-si, les restrictions les plus nombreuses à la circulation des infor-mations et au contenu de l'enseignement sont observées dans les camps qui relèvent soit de Pol Pot, soit du prince Sihanouk. Quand les extrêmes se rejoignent...On sait que le projet d'accord (Art.6 et Annexe I, Section D) mis au point par les Cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU comme le document-cadre (Art.27) sur le-quel il s'appuie et qui a fait l'objet d'une approbation unanime tant du Conseil de Sécurité que de l'Assemblée Générale de l'-ONU, contiennent des dispositions très précises quant à l'éduca-tion aux Droits de l'Homme et à la formation aux pratiques dé-mocratiques.On s'étonnera dès lors de la réticence de 2 organes onusiens, l'UNHCR et l'UNBRO, à profiter de la présence de milliers de personnes contraintes à l'inactivité pour prodiguer une telle for-mation. Quelle ne fut pas notre surprise d'entendre le "députy-field officer" UNHCR-ARAN nous déclarer tout de go, pour justifier cette réticence, que de tout façon, "les Droits de l'Hom-me, pour des paysans, c'est abstrait et ésotérique ".On comprend mieux dès lors le découragement des jeunes intellectuels khmers qui rencontrent mille et une difficultés à faire fonctionner leur petit groupe de promotion des Droits de l'Homme... Quant à l'UNBRO, qui, pour la première fois (après 9 ans!) a organisé le 10 Décembre 1988 une journée des Droits de l'Homme au cours de laquelle fut distribuée la Déclaration Universelle traduite en cambodgien, elle semble se satisfaire de ce geste annuel dont la symbolique n'est pas négligeable, mais dont l'insuffisance est criante.E- La population des camps est, dans son immense majo-rité, une population désespérée. A la tragédie des années 1970, les survivants ajoutent les souffrances de l'exil et de l'internement. I1s ont, en outre, le sentiment que per-sonne ne se soucie de leur rendre la paix, de leur donner la liberté. Dans l'hôpital de Khao-I-Dang, un homme en-core jeune, bien bâti, amputé des 2 jambes, très haut au-dessus des genoux:- Pourquoi ne viennent-ils pas ?- Qui ? Les Grands. Pourquoi ne viennent-ils pas voir ici comme nous souffrons? Les Chefs cambodgiens et les Dirigeants des Grandes Puissances se moquent des souffrances des petits.Ou encore, à O-Trao, camp dont les chefs de section sont khmers-rouges, cette femme atteinte comme tous les siens de paludisme et, de ce fait, autorisée à quitter avec sa famille une zone du territoire cambodgien contrôlée par les hommes de Ta-Mok, un des plus sanguinaires dignitaires khmers-rouges: "Il fait partout difficile de vivre pour les khmers".Les zones1- Nous entendons par zones, des portions du territoire cambodgien qui sont effectivement administrées par les forces de la Coalition et avec lesquelles l'administration gouvernementale a perdu tout contact. Délimiter ces zones ne signifie pas délimiter l'espace d'influence de la Coali-tion. Celui-ci est beaucoup plus étendu et couvre toutes les parties du pays où la guérilla a réussi à établir des lignes de communication. Il y a donc une distinction à opérer entre zones administrées et zones infiltrées.2- Localiser ces zones et en détem1iner la superficie et la population, c'est du même coup établir les positions res-pectives des forces qui s'affrontent. La tâche est aussi mal aisée que celle qui consistait, dans le rapport consé-cutif à notre dernière visite au Cambodge (document RMJ/8: "Le plus dur reste à faire"), à tracer sur la carte les lignes de pénétration de la guérilla. Les informations qui suivent doivent être donc reçues comme des indica-tions sur des tendances générales. Nous ne prétendons pas fournir un relevé cartographique précis des positions des unes et des autres. Observons tout d'abord que ces zones sont adossées à la frontière thaïlandaise et qu'elles ont été établies à immédiate proximité des camps de ré-fugiés situés de l'autre côté de la frontière. Des pistes, parfois même des routes, coupent la frontière et relient ces camps aux bases militaires de la guérilla ainsi qu’aux localités centrales de ces zones. Les déplacements qui s'effectuent sur ces axes se font avec l'accord de l'armée thaie qui ne cache pas son appui aux forces de la coa-lition.La Thailande confirme ainsi cette fonction de sanctuaire qu'elle remplit depuis 1979 et qui a permis à la coalition et no-tamment à son élément dominant, les khmers-rouges, d'échapper à l'écrasement quand l'armée viêtnamienne occupait le Cambod-ge. Il y a 4 zones contrôlées par les forces de coalition:A- Deux zones rouges, administrées par les hommes de PolPot :a- la première recouvre une bande de plus de 20km de profondeur depuis, au nord, la région de Nong-Phru (en face du Site 8) jusqu'aux abords de la ville por-tuaire de Koh-Kong, au sud (province de Bantéay-Méanchey, de Battambang, de Pursat et de Koh-Kong).b- la deuxième, plus au nord du pays, recouvre une étendue qui se situe entre Samrong et Préah-Vihéar (sans occuper ces 2 localités) avec comme centre important Anglong-Vèng (province d'Ouddâr-Méan-chey et de Préah-Vihéar).Nous ne disposons pas d'éléments suffisamment précis pour fournir un ordre de grandeur quant à la population qui se trouve actuellement dans ces 2 zones.B- Une zone bleue, administrée par le FNLPK avec comme localité centrale Thmar-Puok (province de Bantéay-Méan-chey). Elle compte environ 25 villages et sa population est estimée entre 60.000 et 75.000 habitants.C- Une zone blanche, administrée par le FUNCINPEC, le parti du Prince Sihanouk dont la localité centrale est le petit village de Pong-Toeuk (province d'Ouddâr-Méan-chey). Les Sihanoukistes prétendent administrer 500.000 personnes. Selon d'autres sources, il y aurait 223.000 ha-bitants dans cette zone. En fait, toutes les informations que nous avons pu recueillir permettent d'affirmer qu'il n'y en a que 50.000. Selon des sources américaines, ce chiffre ne serait même atteint qu'en ajoutant aux popu-lations autochtones les personnes amenées du Site B. Il s'agit d'une très petite zone au Nord de Samrong, coincée entre la zone rouge à l'Est et la zone bleue à l'Ouest.3- Il y a lieu de s'interroger sur la portée politique de ces zones. Les dirigeants des factions affirment qu'il s'agit d'exercer, par ce biais, la forte pression sur Phnom-Penh et de conférer une légitimité incontestable à chacun des partis de la Coalition. Le projet est donc éminemment politique. Mais que représentent ces zones? Moins de 10% du territoire national et moins de 3% de la popula-tion du pays. A ce stade, ces zones, qui couvrent des ré-gions de montagnes et de forêts, qui sont peu peuplées et fortement impaludées, qui, aussi loin qu'on remonte dans le passé du Cambodge, ont toujours été peu et mal con-trôlées par l'administration centrale (qu'on se souvienne des jacqueries paysannes qui y éclataient régulièrement avant 1970), ont, en fait, une très faible signification po-litique. Elles n'autorisent pas ceux qui les administrent à se proclamer représentatifs d'une partie significative du Cambodge.Par contre, dans la mesure où ces zones font écran, en plusieurs points, entre les sanctuaires thaïlandais et le Cambodge administré par Phnom-Penh, dans la mesure où elles menacent directement 3 grandes voies de communication (la route qui con -duit du poste frontière de Poipêt à Sisophon RN-5, la Nationale 6 Sisophon-Siemréap et la Nationale 5 Sisophon-Battambang-Phnom Penh), dans la mesure où les mines de pierres précieuses de la région de Païlin sont sous le contrôle des khmers-rouges, l'existence de ces zones confère à la coalition des atouts sur le plan militaire et procure aux khmers-rouges de très précieuses ressources qui leur permettent de consolider, s'il en est besoin, leur position dominante au sein de la Coalition.La localisation de ces zones fournissent également aux khmers-rouges la possibilité d'organiser avec leurs alliés non-communistes une coopération militaire très souvent observée sur le terrain. Il y a en effet une zone rouge à côté de chacune des 2 autres zones.4- Mais l'existence de ces zones pose davantage de pro-blèmes en raison des changements qu'elle provoque à l'intérieur des camps:a- On observe qu'une partie de la population des camps connus (ceux que nous avons visités), mais plus encore la population des camps appelés "camps satel-lites" ( qui gravitent autour des camps connus et dont l'accès est interdit aux organisations humanitaires) s'est déplacée vers ces zones. Sur la base des infor-mations collectées, on peut distinguer trois types de migration:- la migration forcée classique s'agissant des per-sonnes sous le contrôle des khmers-rouges, mais qui se pratique également dans les camps non-com-munistes. Elle concerne la très grande majorité des personnes déplacées;- la migration encouragée: des khmers, formés dans les camps par les organisations humanitaires, sont payés (de 600 à 3.000 baths par mois) pour aller travailler dans les zones. Il s'agit notamment de personnes formées dans le secteur de la santé, qui, de la sorte, délaissent les populations civiles des camps pour aller travailler dans les hôpitaux militaires des zones;- la migration volontaire: des cadres administratifs des factions abandonnent leurs tâches dans les camps pour aller travailler dans les zones ce qui est de nature à favoriser leur situation à l'intérieur du mouvement.b- Très souvent, les personnes qui ont été conduites de force dans les zones ne peuvent retourner dans les camps que si elles sont malades ou si les activités militaires les obligent à fuir. De telle sorte qu'on as-siste progressivement à une mutation de la popula-tion de certains camps. Ainsi par exemple, le camp d'O Trao devient peu à peu le centre médical de la zone rouge qui se trouve de l'autre côté de la fron-tière. Toutes les familles que nous avons rencontrées, dans des sections différentes du camp, souffraient de paludisme.Ce phénomène n'est pas perceptible dans les 2 camps du FNLPK: Site 2, qui est beaucoup trop peuplé, pour être sensible aux migrations concernant la petite zone bleue, et Sok Sann, dont la population n'a pas été déplacée, car le camp est complè-tement isolé en bordure d'une zone rouge.c- Les camps sont devenus, dans l'esprit des dirigeants des factions, la principale source d'approvisionne-ment des zones: argent, équipements, nourriture, mé-dicaments, personnel. A telle enseigne qu'un dirigeant khmer-rouge nous a déclaré n'accepter dans son camp l'UNBRO et les ONG que dans la mesure où elles n'empêchent pas que ce qu'elles fournissent ‘serve à la libération’.Les camps remplissent de plus en plus la fonction de bases arrières des zones. Ce faisant, une partie de l'activité des agences internationales et des ONG profite directement à ces zones: des personnes formées dans les camps vont ensuite travailler dans les zones, des fournitures délivrées aux cadres khmers sont transférées, soit dans les bases militaires, soit dans les zones, les soins prodigués à la population masculine des camps le sont pour une très grande part à une population militaire, etc... L'ac-tion humanitaire est de la sorte au profit d'objectifs politi-ques. Nous y reviendrons.5- En raison de l'attitude adoptée par les Etats-Unis, la pro-blématique des zones devient un élément de nature à affecter gravement les efforts en vue d'un règlement né-gocié du conflit. La très officielle "US Agency for Inter-national Developpement" (USAID) est particulièrement active à l'intérieur des zones administrées respectivement par les sihanoukistes et le FNLPK. On savait déjà que l'USAID avait consacré des fonds et mobilisé du person-nel (4 cadres et 16 entraîneurs) à la formation militaire des jeunes sihanoukistes rassemblés dans la Base 251. Des dizaines de milliers de US$ ont été dégagées à cet effet (voir memoranda de l'USAID Taillant du 1er No-vembre 1989 et du 22 Mars 1990).On savait aussi qu'en Septembre 1990, avec des fonds de l'USAID, une route, réservée au charroi militaire, a été cons-truite entre la localité thaïlandaise de Taphrya (non loin du Site 2) et la "capitale" de la zone bleue, Thmar-Pouk où a été cons-truit, toujours avec les mêmes fonds, un hôpital militaire pour les troupes du FNLPK (450 lits). Une très large assistance est fournie par l'USAID aux populations des 3 zones dans les do-maines de la santé et de l'alimentation sur la base d'une législa-tion adoptée en Novembre 1990. 20.000.000 de US$ sont ainsi affectés à l'assistance "for Cambodia democracy". Malgré les démentis de l'USAID, nous pouvons affirmer que les salaires versés au personnel médical venu des camps proviennent indi-rectement de fonds fournis par l'USAID.On remarquera au passage que l'assistance médicale fournie par l'USAID se pratique en dehors des règles fondamentales de l'éthique médicale en vertu desquelles dès qu'un soldat est bles-sé, il perd toute couleur politique et devient un patient qui a droit aux soins. L'USAID sélectionne les blessés qu'elle soigne. Le CICR n'a pas manqué de souligner cette violation scandaleuse non seulement de l'éthique médicale, mais aussi des conventions et principes qui l'inspirent, s'est retranchée derrière la décision du Congrès des Etats-Unis d'interdire toute aide aux khmers-rouges. La volonté américaine d'agir directement à l'intérieur du Cambodge dans des zones sous contrôle de factions alliées aux khmers-rouges autorise plusieurs questions:A- sur quelle base légale des agents du gouvernement des Etats-Unis opèrent-ils à l'intérieur du territoire cambod-gien ?B- comment le gouvernement des Etats-Unis établit-il une cohérence entre ses déclarations sur sa volonté d'empê-cher le retour des khmers-rouges au pouvoir et une ac-tion, à l'intérieur du territoire cambodgien, dont les prin-cipaux bénéficiaires sont, en dernier ressort, ces mêmes khmers-rouges?C- favoriser la création, le développement et l'expansion de portions d'un territoire national qui échappent à une auto-rité centrale, cela s'appelle organiser la partition du pays. Les Etats-Unis, qui pratiquent cette politique au Cam-bodge, sont-ils désormais en faveur d'une division du pays entre les 4 factions qui s'affrontent?D- quelle est la politique des Etats-Unis? Celle qui consiste à participer, avec les autres membres permanents du Conseil de Sécurité, à la recherche d'un processus de paix susceptible de créer un "environnement politique neutre" favorable à l'organisation d'élection libre? Ou celle qui, par le soutien à 2 groupes politiques assoiffés de pouvoir au point de s'allier aux plus grands criminels qu'ait connus le Cambodge, conduit directement à la libanisa-tion du pays?E- enfin, quelle est la cohérence de la politique des Etats-Unis qui, en Irak, refusent d'intervenir dans une guerre civile qu'ils ont provoquée au nom du droit international et laissent t massacrer les insurgés qu'ils ont encouragés alors qu'au Cambodge, ils prennent, sur le terrain, fait et cause pour les alliés des khmers-rouges dont les atteintes aux Droits de l'Homme "constituent les plus graves vio-lations jamais perpétrées dans le monde depuis la pério-de nazie" (rapport du rapporteur spécial de la Commis-sion des Droits de l'Homme de l'ONU, 1979)? Le droit international n'est-il qu'un prétexte occasionnel ou s'im-pose-t-il également à tous et tout le temps?Le dilemmeIl y a quelques semaines, à l'occasion d'une petite tête don-née en son honneur le représentant du CICR dans la zone fron-talière, sur le point de changer d'affectation, livrait publiquement ses réflexions personnelles: "Pour ma part, je pense que le temps est venu pour la population de la frontière de retourner au Cambodge. Depuis plus de 11 ans, nous aidons ces gens. Nous leur avons fourni de la nourriture, du logement, une as-sistance médicale et tout ce qui était pensable. D'une certaine manière, l'industrie humanitaire a fait d'eux des réfugiés profes-sionnels. Avons-nous jamais cru qu'ils rentreraient un jour chez eux? Comment pourront-ils s'adapter à une vie normale au Cambodge sachant que près d'un tiers d'entre eux n'ont jamais vu leur pays parce qu'ils sont nés dans les camps de la fron-tière? Le blocage politique sur le Cambodge a conduit à une assistance humanitaire permanente. Ce qui fait de nous une partie du problème, quelles qu'aient été et quelles que soient nos bonne intentions. Idéalement, que se passera-t-il si les négo-ciations actuelles échouent, ce que pensent de plus en plus d'ob-servateurs? Personne ne veut que les 300.000 personnes restent dans les camps sur le sol thailandais pour 10 autres années. Par conséquent, ou bien les factions de la résistance vont réaliser leurs propres plans de rapatriement, ou bien nous devrions commencer à réfléchir à une importante opération de rapa-triement même en l'absence d'un règlement politique global. A tout le moins, nous devrons essayer d'assurer à chacun le libre choix de retourner au Cambodge où et quand il veut. Pour pré-senter ceci d'une manière un peu plus provocante: que se pas-serait-il, pensez-vous, si nous cessions de fournir de la nourri-ture aux camps de la frontière? Personne ne mourrait d'inani-tion. Les gens retourneraient au Cambodge ".Ces propos décisifs de M. Jean Jacques Fresard marquent dans la réflexion des responsables de l'action humanitaire à la frontière thailandaise. Ils cristallisent un doute. Ils inaugurent une interrogation. Ils instaurent un débat.Dès 1970, l'ensemble de l'opération humanitaire au profit des réfugiés khmers s'est développée dans l'équivoque. Nul ne conteste la nécessité qu'il y avait alors à porter secours à des populations qui sortaient de 10 années marquées par une guerre d'une extrême violence et par la terreur d'un régime qui avait instauré l'élimination physique comme méthode de gouverne-ment. L'état physique et mental des survivants de cet autre holo-causte justifiait les pires craintes quant à la survie même du peuple khmer.Le comportement criminel de l'Armée royale thaïlandaise fournissait des raisons supplémentaires pour une action rapide dans la zone frontière (la tragédie de Préah-Vihéar constitue un authentique crime contre l'humanité).Mais, première équivoque, la communauté internationale n'a pris en considération que les khmers qui fuyaient le pays ignorant totalement l'immense majorité de ceux qui, dans des conditions hallucinantes, restaient au Cambodge. Il a fallu l'ac-tion décisive du CICR et de longs mois de négociations pour qu'une opération humanitaire d'urgence, limitée dans le temps, soit organisée au profit des habitants du Cambodge. Quasi spon-tanément, les préoccupations politiques avaient pris le pas sur le souci du sort des gens. D'emblée, il y avait un Cambodge ac-ceptable et digne de sollicitude (les réfugiés) et un Cambodge ignoré, nié: le pays lui-même.Deuxième équivoque, la Communauté internationale s'est inclinée devant des priorités politiques étrangères au droit inter-national: elle a accepté que des réfugiés ne soient pas reconnus comme tels, elle a accepté que des êtres humains soient arbi-trairement livrés au contrôle de groupes politiques dont l'un d'-eux venait, pendant près de 4 ans, d'ériger la barbarie en pratique politique quotidienne. Dès l'effondrement du régime de Pol Pot, l'ONU a dû mettre en oeuvre une politique voulue par certaines grandes puissances (Etats-Unis et Chine Populaire principale-ment) qui, dans les faits, bafouait un nombre considérable de conventions internationales protégeant les personnes.Troisième équivoque, conséquence de la précédente: une confusion quasi inévitable s'est établie entre l'action humanitaire et un soutien de facto aux groupes politiques qui contrôlent les camps. Dans la mesure où étaient abandonnées les règles qui appartiennent au droit international et qui régissent dans un con-texte politiquement neutre, l'assistance aux réfugiés, il devenait impossible de séparer action humanitaire et soutien politique.La situation ainsi créée entre 1979 et 1982 est, bien da-vantage que les agences internationales et les ONG qui l'ont acceptée, responsable de cette duplicité. La communauté inter-nationale s'est livrée, pour satisfaire une politique donnée, à une véritable manipulation de l'action humanitaire. Les praticiens ont été placés devant un choix impossible: ou porter assistance et devenir les partenaires de formations politico- militaires (dont les khmers-rouges) ou renoncer à l'aide humanitaire. C'est le di-lemme dans lequel sont plongées depuis bientôt 12 ans les agen-ces internationales (et tout particulièrement l'UNBRO créée spé-cialement par l'ONU pour mettre en oeuvre cette dualité) et les ONG qui travaillent dans la zone frontalière.Aujourd'hui, ainsi qu'en témoignent les propos de Jean Jac-ques Fresard, on entend de plus en plus souvent poser la question: "Comment sortir de cette duplicité à laquelle on nous a contraints? Il Des faits nouveaux alimentent cette interroga-tion: le départ du Cambodge des troupes viêtnamiennes d'occu-pation, en Septembre 1989, la perspective d'une attente encore longue avant un règlement politique du conflit, la conviction grandissante que plus le temps passe, plus l'action humanitaire contribue à soutenir les factions politico-militaires et nourrit de la sorte la guerre civile, l'effacement progressif d'une perception manichéenne de la question khmère, la situation relativement satisfaisante des occupants des camps. En confirmation, ces pro-pos d'une occidentale travaillant, au sein d'une ONG, dans le secteur de la santé: "L'argent fourni aux agences et aux ONG, alors que les factions politico-militaires disposent de leurs moyens propres, c'est autant que ces factions peuvent consacrer à la guerre et ne pas consacrer aux besoins fondamentaux des gens sous leur contrôle. L'action humanitaire à la frontière permet ainsi le financement de la poursuite de la guerre civile. Les ONG soignent les victimes de la guerre. Les ONG fournis-sent aux factions des moyens de subsistance qui leur permettent de ne pas s'occuper de la survie des populations et de consacrer leurs moyens propres à la guerre".Certes, le débat ne fait que commencer alors que le di-lemme existe depuis plus de 10 ans. Et ce débat traverse inéga-lement les agences et les organisations. Ainsi, à l'UNBRO, ins-trument onusien conçu pour une mission de courte durée et qui gère un ensemble de programmes d'assistance depuis 1982, on est conscient des nombreuses critiques que suscite un organe qui est véritablement l'incarnation de ce qu'ont voulu les grandes puissances. Tout en reconnaissant qu'une longue collaboration avec les factions politico-militaires a fatalement créé des rela-tions particulières, on se défend de toute collusion et de toute complaisance. Il faut dire que l'UNBRO est sur la défensive: on parle beaucoup dans la zone frontalière d'un banquet organisé fin de l'an passé à Nong-Phru, en plein zone khmère-rouge à l'intérieur du Cambodge. Quelques hauts responsables de I'-UNBRO auraient été invités par les khmers-rouges et se seraient assis à la même table que Ieng Sary, un des leaders historiques du mouvement, pour fêter le départ du "Deputy Field Coor-dinator" du bureau UNBRO d'Aranyaprathet.Cela étant, les responsables de l'UNBRO que nous avons rencontrés ont manifesté une conscience très précise des fai-blesses et des lourdeurs bureaucratiques de cet organe. Ils se sont également montrés tout à fait conscients du dilemme que représente la poursuite de l'action humanitaire à la frontière. Tout en s'efforçant de s'acquitter du mandat qui est celui de l'UNBRO, ils sont tout à fait lucides quant aux implications politiques de ce mandat.En ce qui concerne les ONG, on peut, sans trop schéma-tiser, distinguer celles qui ne se posent aucune question, celles qui délibérément affichent leur présence comme un soutien à la coalition ou à une des factions et celles qui s'interrogent.Les premières rejettent toute discussion au nom du refus de la politique et en vertu de la primauté de l'action humanitaire.Les deuxièmes, parfois animées par des gens d'extrême-droite venus d'Espagne, des Etats-Unis ou de France, assimilent leur action à une croisade contre le communisme de Phnom-Penh (malgré l'alliance de leurs protégés non-communistes avec les khmers-rouges) et, au travers de programmes dits éducatifs, se livrent à de la formation paramilitaire. Ces ONG soutiennent surtout le FNLPK, défini comme "successeur idéologique du régime républicain khmer soutenu par les Etats-Unis". Certaines travaillent même à l'intérieur du Cambodge, dans la zone bleue.Les troisièmes, qui souvent sont également représentées à Phnom-Penh (15 ONG travaillent actuellement au Cambodge et dans les camps) et disposent dès lors d'une information plus complète et plus nuancée, sont les plus ouvertes à la discussion. Parmi ces dernières, plusieurs agents ont déjà choisi d'aller travailler à l'intérieur du Cambodge.Le débat est ouvert et il va s'amplifier. Ce que nous avons vu dans cette zone frontalière nous incite à souhaiter qu'il soit tranché rapidement et de la meilleure manière: par un règlement politique du conflit qui, avec toutes les garanties requises, ins-taure la paix, ouvre la voie à la démocratie et garantisse les khmers contre tout retour des khmers-rouges au pouvoir. Plus qu'à l'intérieur du Cambodge, on ressent, dans les camps, l'atten-te de la paix et la soif de la liberté.
Le Plan du Viêtnam au Cambodge
Le nombre des colons vietnamiens envoyés s'installer au Cambodge
Depuis 1979 jusqu'au mois de Mai 1989, les autorités de Hanoï ont, conformément à leur programme planifié, systéma-tiquement envoyé des colons viêtnamiens composés d'Anciens Combattants viêtminhs et viêtcongs s'installer au Cambodge no-tamment dans les 6 principaux endroits stratégiques suivants :
1. Dans les 14 sroks (districts) suivants: Partie Est du Mékong: Péal-Rô, Péam-Chor, Kampong-Trabêk (pro-vince de Prey-Vèng), Prasaut, Chantréar et Kampong-Rô (province de Svay-Rieng); partie Sud du pays: Kampot, Touk-Méas, Kampong-Trach, Kirivong, Prey -Kabas, Koh-Andêt, Koh-Thom et Loeuk-Dêk. Dans ces districts, les colons viêtnamiens constituent au-jourd'hui environ 75% de la population (les pourcen-tages varient entre 60 et 90% selon les districts), avec une moyenne de 35.000 colons par district. En tout, dans ces 14 districts, il y a environ 500.000 colons viêt-namiens.
2. A Phnom-Penh et dans ses banlieues, il y a environ 200.000 colons viêtnamiens.
3. Dans les régions côtières de la province de Koh-Kong, à Kampong-Som, dans les districts de Saâng, Kiên-Svay, Lovéa-Em et Ponhéa-Loeu (province de Kendal), dans les dictricts de Roméas-Hêk, Samrong et Rum-doul (province de Svay-Rieng) et dans les districts de Ponhéa-Krêk (province de Kampong-Cham), en mo-yenne, les colons viêtnamiens forment 30% de la po-pulation. En tout, il y a environ 250.000 colons viêtna-miens.
1. Sur les rives du fleuve de Tonlé-Thom (Mékong), de Rocar-Kong, au nord de Phnom-Penh jusqu'au district de Sambor dans la province de Kratié, il y a environ 150.000 colons viêtnamiens.2. Sur la rive du fleuve de Tonlé-Sâp, de Préak-Kdam à Chnok-Trou (district de Bâribo, province de Kampong-Chhnang), il y a environ 250.000 colons viêtnamiens.3. Dans les régions du Cambodge telles que les provin-ces de Pursat, Battambang, Siemréap, Préah-Vihéar, Kampong-Thom, Stung-Trèng, Mondoul-Kiri, Ratta-nak-Kiri, il y a environ 350.000 colons viêtnamiens.Au total, il y a aujourd'hui au Cambodge, environ 1.700.000 colons viêtnamiens (situation au 7 Mai 1989).Les forces viêtnamiennesactuellement au CambodgeIl y a actuellement au Cambodge (l'Etat du Cambodge), 2 catégories de forces viêtnamiennes.Catégorie ILes Divisions engagées dans les combats· La Division no5 (75) qui règne sur des activités dans le nord de Sisophon (partie du Nord Ouest du Cambodge);· La Division no309 (59) stationnée à Kampong-Puoy pour défendre Battambang, Païlin et mener des activités au Sud de Sisophon (Nord-ouest du Cambodge);· La Division no330 (90) pour défendre la RN10 et mener des activités à Samlaut, province de Battambang (Ouest du Cambodge) ;· La Division no339 (99) stationnée à Léach, province de Pursat (Ouest du Cambodge);· La Division no302 qui défend Ouddar-Méanchey et Siem -réap (Nord du Cambodge);· La Division no307 stationnée auparavant à Choam-Khsân, province de Préah-Vihéar et maintenant à Ta-Sèng (dans la province de Kampong-Thom), là où se rencontrent les délimitations des 3 districts de Staung, Rovieng et Chil-krèng;· La Division no315 stationnée à Choam-Khsan (province de Préah-Vihéar).Toutes les Divisions stationnées dans la région occidentale du Cambodge sont placées sous le commandement du Front 479. Les autres divisions sont sous le commandement conjoint des Fronts 579, 478 et 779. A noter que toutes ces divisions n'-ont pas leurs effectifs au complet à cause des lourdes pertes subies au cours des 10 années précédentes, et ce malgré les ef-forts faits par le Viêtnam pour y envoyer successivement de nou-veaux renforts.Deuxièmement, la plupart des forces viêtnamiennes sont obligées de s'éparpiller dans les villages et communes. C'est la raison pour laquelle, depuis 1985, pendant 4 saisons sèches et 4 saisons des pluies, les viêtnamiens n'ont pu mobiliser leurs forces pour mener des activités militaires de grande enver-gure. Aucune division viêtnamienne n'est en mesure seule de mener des activités militaires. Les viêtnamiens sont obligés de prélever 1 ou 2 régiments des différentes divisions pour les en-voyer défendre là où l'appareil administratif des villages du ré-gime khmer de Phnom-Penh et leur réseau de positions fortifiées le long de la frontière sont démantelés ou menacés par les forces de la résistance nationale du Cambodge.Catégorie IILes unités statiques au CambodgeEn plus des Divisions ci-dessus mentionnées, les viêtna-miens ont des unités militaires pour administrer et maintenir le pouvoir sur tous les plans dans les provinces:- Régiment n° 7701 à Kampong-Thom,- Régiment n° 7702 à Kampong-Cham,- Régiment n° 7703 à Svay-Rieng,- Régiment n° 7704 à Battambang,- Régiment n° 7705 à Siemréap,- Régiment n° 7706 à Prey-Vèng,- Régiment n° 7707 à Kratié,- Régiment n° 7708 à Kendal,- Régiment n° 5501 à Mondoul-Kiri,- Régiment n° 5502 à Rattanak-Kiri,- Régiment n° 5503 à Stung-Trèng,- Régiment n° 5504 à Préah-Vihéar,- Régiment n° 9902 à Kampong-Chhnang,- Régiment n° 9903 à Pursat,- Régiment n° 9904 à Kampot,- Régiment n° 9905 à Takèo,- Régiment n° 9907 à Koh-Kong.Les unités dont le numéro commence par 7 sont envoyées de la 7ème Région militaire du Viêtnam qui a des frontières com-munes avec les provinces de Kampong-Cham et Svay-Rieng du Cambodge. Les unités dont le numéro commence par 5, sont envoyées de la 5ème Région militaire au Viêtnam qui a des fron-tières communes avec les provinces de Mondoul-Kiri et Ratta-nak-Kiri au Cambodge. Les unités dont le numéro commence par 9 sont envoyées de la 9ème Région militaire du Viêtnam qui a des frontières communes avec les provinces de Takèo et Kampot au Cambodge. Au total, les forces viêtnamiennes opérationnelles au Cambodge comprennent 150.000 hommes.Le Plan du Viêtnampour dissimuler ses Forces en vue de contrôlerle Régime de Phnom Penh dans tous les domainesLe Viêtnam a annoncé à la communauté mondiale qu'il re-tirait ses forces d'agression du Cambodge en Septembre 1989. Cette annonce viêtnamienne n'est qu'une manoeuvre trompeuse. En effet le Viêtnam:1- continue de rejeter un contrôle et une supervision internationaux efficaces du retrait de ses forces;2- continue de poser plusieurs conditions à ce retrait.Parallèlement à cette annonce mensongère, Hanoï déploie de grandes activités au Cambodge pour y dissimuler ses forces en vue de continuer à contrôler tout l'appareil d'Etat du régime fantoche. En prévision de l'éventualité où la communauté mon-diale exercerait des pressions telles qu'elles seraient obligées de retirer leurs forces du Cambodge, les autorités viêtnamiennes:1- ont ordonné à leurs soldats d'aller vivre dans les villa-ges du Cambodge. Certains de ces soldats parlent le khmer alors que certains autres sont en train de l'étu-dier. La plupart d'entre eux viennent du Sud-Viêtnam.2- ont organisé des cours de langue khmère pour leurs ca-dres militaires, du sous-lieutenant au commandant. Ces cadres sont ensuite envoyés vivre, comme simples cito-yens, dans les villages, communes et districts parmi la population khmère. Ils sont mariés à des femmes khmè-res et ont reçu la nationalité khmère. Ils ont déclaré qu'-après le retrait des troupes viêtnamiennes, ils deman-deront la permission de vivre au Cambodge.La plupart de ces cadres militaires viêtnamiens viennent du Nord. Ils ont été formés au Viêtnam pour l'espionnage et envo-yés au Cambodge pour ouvrir des écoles d'espionnage à Phnom-Penh (école Bak-Tôuk), dans la province de Battambang (à l'est de Anloung-Vil), dans la province de Siemréap (en face du mo-nument Angkor Watt, sur la route conduisant au monument Ang -kor Thom) et dans toutes les autres provinces pour former des hommes et des femmes viêtnamiens et khmers comme espions. Selon les documents et les déclarations qui ont été rassemblés, l'objectif viêtnamien peut être récapitulé de la façon suivante:A- Hanoï a une stratégie à long tenue de dissimuler ses for-ces dans les villages, communes et districts;B- La plupart de ces forces viêtnamiennes dissimulées sont membres du Parti communiste viêtnamien ou de la Ligue de la Jeunesse communiste viêtnamienne qui ont pour mission de contrôler le soi-disant "Parti Révolutionnaire" et la "Ligue de la Jeunesse Révolutionnaire" du régime de Héng Samrin, du sommet jusqu'à la base. A travers ses forces, le Viêtnam continue d'exercer son autorité sur tout l'appareil d'Etat, militaire et civil, les associations d'hommes ou de femmes, notamment les unités des fem-mes connues sous le nom de "Néari Pram Laâr" (unité de 5 femmes de bonnes qualités).Le but immédiat du Viêtnam est de contrôler l'appareil d'-Etat du régime de Phnom-Penh dans tous les domaines pour s'-opposer aux forces de la RNC (Résistance Nationale du Cam-bodge). Le but stratégique du Viêtnam est de transformer ses ca-dres en khmers, en les faisant épouser des femmes khmères et avoir des descendants khmers, afin de dissimuler davantage les marques de nationalité viêtnamienne et faciliter leurs activités pour développer et diriger dans tous les domaines toutes les for-ces nécessaires en vue d'atteindre leur objectif stratégique de Fédération Indochinoise.Message de Samdech Norodom SihanoukPrésident du Cambodgeaux Sihanoukistes authentiquesMes bien-aimés Kaunchau,Le présent Message ne s'adresse pas aux faux Sihanoukistes qui, depuis plusieurs mois déjà, font tout pour me discréditer aux yeux de notre peuple et de la Communauté internationale. Avec ces "Sihanoukistes"-là, je décide de ne plus avoir de relations. Mais il reste des Sihanoukistes khmers et étrangers qui, contre vents et marées, continuent à me rendre justice et à comprendre mes motivations patriotiques.Dans le présent MESSAGE, je m'adresse à ces Sihanou-kistes authentiques et qui savent qu'à l'heure actuelle la Com-munauté Européenne et certaines autres puissances du Monde Libre ont décidé (et vont continuer) de couler notre Résistance Nationale (RNC) anti-Colonialiste viêt. En me dissociant de la RNC, j'avais cru que l'Occident, etc... m'accorderaient plus d'es-time et de considération, et cela en raison de mon éloignement de la PKD khmère-rouge. Mais mon espoir s'est avéré complète-ment vain. Certains milieux (gouvernements et mass media y compris) du Monde Libre ont profité de mon éloignement de la RNC pour m'accabler sous le poids de leur mépris et pour fa-voriser outrageusement le régime des traîtres à la Patrie khmère.A l'heure actuelle, notre Cambodge a perdu déjà une partie de son territoire national, terrestre et maritime, au profit du Viêtnam. Il y a dans le reste du Cambodge, plus d'un million de colons viêtnamiens qui volent sans vergogne nos terres et pillent systématiquement nos ressources nationales. Dans plusieurs par-ties du Cambodge, nos compatriotes deviennent des citoyens de seconde classe, jouissant de droits moindres que ceux octroyés aux colons viêts, devenus "citoyens de 1ère classe" du Cambodge de Hun Sèn & Héng Samrin-Chéa Sim, et une minorité ethnique dans leur propre pays.En outre, les troupes de Hanoi" sont revenues en force au Cambodge pour reprendre à la RNC les zones libérées. A l'-heure actuelle, notre RNC se trouve à un tournant très dange-reux de son existence. Et si notre RNC meurt, ce sera le Cam-bodge indépendant et son intégrité territoriale terrestre et mari-time qui mourront. Le Cambodge actuel sera un second Champa et un second Kampuchéa-Krom. Quand il s'agit de lutter pour l'Indépendance totale et l'intégrité territoriale terrestre et mari-time de ma Patrie, je n'ai jamais baissé les bras face à mes ad-versaires successifs, qu'ils fussent Colonialisme français, Impé-rialisme américain ou autre.A l'heure actuelle, certains gouvernements, certains parle-ments, certains mass media (presse écrite, radio, télévision) s'at-taquent à moi pour m'humilier et me discréditer au maximum, et pour me couler moralement et politiquement. Je sais que dans ma lutte patriotique je n'ai que bien peu de chance de remporter le succès final pour le salut de la Patrie. Mais, même avec une chance bien mince de réussite, je continuerai à lutter pour un Cambodge totalement indépendant, dans son intégrité territo-riale terrestre et maritime. Aujourd'hui, je me replace à la tête de la RNC si Son-Sann (FNLPK), Khieu-Samphan (FGUNPKD) et S.A.R. le prince Norodom Ranariddh (FUNCINPEC-ANKI) le veulent bien. Je sais que si je me replace à la tête de la RNC, je serai encore violemment attaqué par les faux Sihanoukistes, l'Occident et autres. Mais je n'ai pas le choix: ou bien je laisse le Colonialisme viêt gagner cette bataille homérique au Cam-bodge et laisser mourir ma Patrie en tant qu'un Etat indépen-dant dans son intégrité territoriale terrestre et maritime, ou bien je lutte pour la libération totale de ma Patrie à la tête de la RNC.Dans une telle lutte, qui est une question de vie ou de mort pour le Cambodge, seule l'union de toutes les forces patrioti-ques donne à notre Patrie une chance de gagner la bataille .fi-nale. Si nous luttons en ordre dispersé, nous ne ferons que le jeu de nos Ennemis et de leurs supporters. Si la RNC est unie et non dévissée, elle sera forte et aura une chance de remporter la victoire finale. Si elle est divisée elle sera méprisée et maltraitée au maximum par les puissances étrangères, lesquelles auront grandement raison de prédire la victoire finale du Colonialisme viêtnamien et de ses valets khmers.Mais si, en dépit de critiques acerbes et d'accusations de tels ou tels milieux étrangers et khmers qui ont intérêt à la couler, notre RNC "tient le coup" face à tous les "ouragans" politiques, diplomatiques et autres que font et feront souffler les supporters du Colonialisme viêt et du régime des Quisling de Phnom-Penh, notre lutte aura une chance d'être, à la longue, victorieuse. Comme l'a dit récemment un grand général du Sud-est asiatique: dans cette guerre au Cambodge, le camp le plus patient, le plus tenace, le plus persévérant sera inévitablement le vainqueur.Notre RNC sera, à coup sûr, la plus patiente, la plus tenace et la plus persévérante. En plus nous mettons dans notre juste lutte toute notre foi patriotique. Et nous savons que nous défen-dons la bonne cause: la seule cause qui soit bonne, puisqu'il s'agit de la survie de notre Patrie sacrée, le Kampuchéa.Le 30 Avril 1990Signé:NORODOM SIHANOUK du CAMBODGERapport de M. Raoul JennarConseiller Diplomatique des ONG(Document RMJ / 12 du 22 Avril 1991)Les 325.804 otagesLes Cambodgiens enfermésdans des camps en ThailandeL'objet du présent document n'est pas de fournir une ana-lyse systématique de la situation particulière des 341.040 (325.804 + 15.236) réfugiés cambodgiens qui vivent en Thai-lande à quelques kilomètres de la frontière de leur pays. Celle-ci est connue. Des études nombreuses ont été publiées (voir bi-bliographie, in fine).Notre propos est davantage de tenter d'insérer cet élément particulier dans l'ensemble de la problématique cambodgienne. Nous allons nous employer à remettre en perspective une ques-tion qui a trop longtemps été isolée de son contexte.La politique menée par la Chine et l'Occident depuis 1979 a en effet considéré comme seul Cambodge existant celui repré-senté par les 3 factions réunies au sein de ce qu'on appelle com-munément la Coalition. Hostiles au régime de Phnom-Penh, elles assoient une partie de la légitimité qu'on s'est employé à leur conférer sur le contrôle qu'elles exercent sur les populations réfu-giées et dont elles se prétendent représentatives. Nous verrons ce qu'il est.Il y a les camps, mais il y a aussi, phénomène rendu possi-ble par le retrait des troupes viêtnamiennes en 1989 et la fai-blesse de l'armée gouvernementale, les zones que la Coalition baptise zones libérées, appellation très sujette à caution puisqu'-en fait les populations de ces zones ne sont pas plus libres que par le passé. Elles ont seulement changé de maîtres. Elles n'ont acquis aucune liberté civile ou politique.Les notes qui suivent reflèteront également un débat de fond qui anime de plus en plus les ONG (Organisations Non Gou-vernementales) et certaines agences internationales: dans quelle mesure l'action humanitaire ne contribue-t-elle pas à alimenter la guerre civile?Les camps1- Dans 6 des 7 camps, qui regroupent 325.804 person-nes, celles-ci n'ont pas le statut de réfugiés et ne jouissent dès lors pas des protections garanties par ce statut. Seul le camp de Khao-I-Dang compte 15.236 personnes qui bénéficient de ce statut et qui sont placées sous la protec-tion du HRC (Haut Commissariat pour les Réfugiés de l'ONU). Cette situation est le résultat d'une volonté poli-tique: celle de la Thailande, volonté qui s'est manifestée depuis 1979. Sous le gouvernement démocratique du gé-néral Chatichai Choonhavan, l'idée d'un camp neutre avait été avancée. Les Etats-Unis l'avaient rejetée pour conserver à la Coalition les atouts que représente le con-trôle de ces populations: utilisation de l'aide humanitaire pour les forces militaires, utilisation des populations ré-fugiées comme source de légitimité, utilisation des popu-lations des camps comme réserve pour le recrutement des troupes.2- Le régime militaire qui vient de renverser la jeune démocratie thailandaise n'est pas davantage favorable à l'amélioration du sort des populations enfermées dans les camps. Très concrètement, cela signifie qu'une fois entré dans le camp, l'expatrié est totalement soumis à un dou-ble contrôle: celui de la faction politique qui administre le camp et celui de l'armée thailandaise. Sauf exception (et il y en a), l'expatrié ne peut plus quitter le camp. Il ne peut en aucune façon retourner au pays s'il le souhaite. S'il veut survivre, il doit se soumettre.3- Les habitants des camps sont loin d'être des adeptes4- enthousiastes et résolus de la faction politique qui les contrôle. Nous ne comptons plus le nombre de simples particuliers qui nous ont dit en substance: "Il n’y a pas de problème entre les khmers, il n’y a de problème qu'-entre les Chefs politiques qui se battent pour s'emparer du pouvoir et qui ne se soucient pas des malheurs du peule". Incontestablement, les habitants des camps, dans leur immense majorité, ne se sentent pas représentés par les chefs politiques khmers, quels qu'ils soient. Ce qu'ils ressentent profondément, c'est la conviction d'être des otages et de servir de chair à canon. Il suffit d'observer l'-accueil très réservé, pour ne pas dire l'hostilité, que té-moignent les cambodgiens du camp HCR de Kao-I-Dang (le seul à ne pas être sous le contrôle d'une faction) lors qu'y viennent des leaders de factions.Ce camp, le seul où les cambodgiens jouissent d'une totale liberté politique, offre à l'observateur l'occasion d'apprécier l'opi-nion qu'ils se font des leaders politiques. On s'étonnera d'ailleurs que l'HCR accepte de telles visites. Les interviews faites de per-sonnes ayant fui récemment le Cambodge permettent d'affirmer: ce qui vient d'être observé à propos des factions de la Coalition peut l'être également à propos du régime de Phnom-Penh. Si la première motivation du départ est la fuite des zones de combats, la deuxième qui statistiquement suit de très près, c'est le refus de la conscription obligatoire. C'est aussi la fuite de la répression qui frappe les familles de ceux qui, pour se soustraire à la cons-cription, sont "châul prei: entrés dans la forêt". Ces familles sont traitées par les gouvernementaux comme des "khmaing", des ennemis.En fait, on ne risque guère de se tromper en affirmant que l'immense majorité des cambodgiens renvoient dos à dos ceux qui prétendent s'exprimer en leur nom et les représenter. C'est pour cette raison qu'ils fondent tant d'espoirs dans la présence future de l'ONU. Cette espérance est si forte qu'elle conduit à formuler des voeux dont l'irréalisme n'empêche pas de compren-dre le sens profond. Ainsi, un intellectuel de gauche, qui a perdu plus de 20 membres de sa famille pendant la période 1975-1979, me déclarait: "Il faudrait que l'ONU reste au Cambodge aussi longtemps que cela qui ont 40 ans ou plus aujourd'hui sont en-core en vie ".A- La population des camps, comme celle du Cambodge, est très jeune: plus de 50% ont moins de 15 ans. Ce n'est pas sans conséquence politique. Ainsi que le faisait remarquer une responsable de l'UNBRO: "Cette guerre civile, n'est pas la leur. Ils ne la comprennent pas. Ils ne l'acceptent pas. Elle les prive de tout ce qu'ils attendent de la vie. Ils veulent rentrer au pays, travailler, s'amuser et, eux aussi, disposer de tous ces biens de consomma-tion dont ils ont toujours été privés".B- On ne peut s'empêcher d'être frappé par la manière dont les responsables politiques et militaires des 3 factions de la Coalition traitent les populations sous leur contrôle. On pourrait penser qu'il y aurait un effort tout particulier consenti par les formations politiques de la Coalition pour se gagner d'adhésion de ces populations. Il n'en est rien! Certes, les factions ne négligent pas ce qui peut leur être utile et on observe, principalement au Site 2 (sous contrôle du FNLPK), mais aussi, dans une mesure moin-dre au Site B (sous le contrôle des Sihanoukistes) et au Site 8 (sous le contrôle des khmers-rouges), des efforts dans les domaines de la formation. Mais le respect et la considération pour la dignité des personnes et la recon-naissance de leur autonomie sont inexistants. La seule démarche politique dont les leaders semblent capables, c'est la contrainte.Les réfugiés sont une masse utile. Rien de plus. Cette per-ception qu'en ont les responsables des factions se traduit dans les comportements de tous les jours. Qu'il s'agisse des relations de maîtres à sujets imposées par les Sihanoukistes à ceux qu'ils contrôlent, véritable résurrection d'un système féodal, qu'il s'a-gisse des exactions commises par la soldatesque FNLPK ou du règne des gangs qui gravitent autour de ce mouvement, ou qu'il s'agisse de la discipline de fer imposée par les hommes de Pol Pot, chaque fois, on observe la même négation des Cambod-giens dans leur dignité d'êtres humains.Une telle attitude de la part de groupes politiques qui s'en-gagent, dans les discussions diplomatiques, à respecter les Droits de l'Homme et à appliquer les conventions internationales exis-tantes justifie à tout le moins la réserve et le doute. Un propos illustre le souci de la Coalition à l'égard de la population: "Nous avons réussi à vous voler 7.500 réfugiés" déclarait avec fierté un dirigeant FNLPK à une responsable du UNHCR en parlant de personnes retirées du camp de Khao-I-Dang où elles jouissaient du statut de réfugiés et où elles pouvaient nourrir l'espoir de s'installer dans un pays d'accueil des Cambodgiens? Du gibier, rien de plus.C- La violence sévit dans les camps. Qu'il s'agisse des camps dont l'UNBRO à la charge ou du camp UNHCR, les conditions de sécurité sont loin, très loin d'être satis-faisantes. Remplaçant la Task Force 80 de sinistre mé-moire, les Thailandais ont créé une "Displaced People Protection Unit" (DPPU) qui est chargée de la protection des camps. Même si, à l'instar des soldats de la Task Force 80, ceux de la DPPU tirent sans sommation, l'a-mélioration est sensible. Spectaculaire même. Mais si les cambodgiens semblent avoir moins à craindre aujourd'-hui de ceux qui sont chargé de leur protection, ils ne doivent cependant pas attendre de la part de la DPPU une protection effective. Si les soldats thais tuent, violent, volent plus rarement, ils ne prennent en tout cas aucun risque pour faire barrage à ceux qui menacent les cam-bodgiens: bandits thais, déserteurs de tous les camps, pil-lards, rançonneurs, trafiquants ou... recruteurs. "Site B", le camp du prince Sihanouk, à juste titre réputé, lors de notre précédente visite en 1988, comme le meilleur des camps est aujourd'hui un de ceux où la vie est la plus dif-ficile et la plus dangereuse. Les occidentaux des ONG doivent obligatoirement quitter les camps avant la tom-bée de la nuit. Alors des milliers d'hommes, de femmes, de vieillards, d'enfants, sont livrés à la lie de l'humanité. Dans l'indifférence la plus totale...D- Dans un tel contexte, la promotion des Droits de l'-Homme relève de l'urgence. On s'en rend compte, la no-tion d'état de droit échappe totalement à l'entendement de la plupart des cadres politiques cambodgiens. La force qui s'impose à tous n'est pas celle du droit, mais celle que confère, soit le prestige d'une position (par exemple: un rang dans un service administratif), soit le statut social (appartenir à une famille dont un membre occupe une position importante), soit la richesse, fut-elle relative, soit la violence.Cette observation n'est pas encore propre aux camps en Thailande. Elle caractérise la société cambodgienne dans son ensemble telle qu'elle s'est développée depuis l'indépendance, telle qu'elle renaît peu à peu, après les tragiques années 70. S'il s'agit de se préparer à la paix pour reconstruire le pays et y ins-taller une démocratie, le moins qu'on puisse en dire, c'est que la démarche n'est pas encore entamée.Les Droits de l'Homme ne sont pas respectés. Ils sont çà et là enseignés. Ils ne sont guère encouragés. Malgré quelques initiatives (la publication d'un journal indépendant, le "Khmer Citizen News Bulletin" au Site 2; un groupe de promotion des Droits de l'Homme - le Charter 89 au Site 2; un autre à Khao-I-Dang...) dont on s'étonne qu'elles ne soient pas plus vigoureuse-ment soutenues par les agences internationales; la situation qui prévaut dans chaque camp est celle d'un régime à parti unique qui impose sa loi et pratique l'arbitraire.Sans doute, faut-il, çà et là, nuancer les situations, mais la caractéristique dominante est celle d'un système autoritaire. Ain-si, les restrictions les plus nombreuses à la circulation des infor-mations et au contenu de l'enseignement sont observées dans les camps qui relèvent soit de Pol Pot, soit du prince Sihanouk. Quand les extrêmes se rejoignent...On sait que le projet d'accord (Art.6 et Annexe I, Section D) mis au point par les Cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU comme le document-cadre (Art.27) sur le-quel il s'appuie et qui a fait l'objet d'une approbation unanime tant du Conseil de Sécurité que de l'Assemblée Générale de l'-ONU, contiennent des dispositions très précises quant à l'éduca-tion aux Droits de l'Homme et à la formation aux pratiques dé-mocratiques.On s'étonnera dès lors de la réticence de 2 organes onusiens, l'UNHCR et l'UNBRO, à profiter de la présence de milliers de personnes contraintes à l'inactivité pour prodiguer une telle for-mation. Quelle ne fut pas notre surprise d'entendre le "députy-field officer" UNHCR-ARAN nous déclarer tout de go, pour justifier cette réticence, que de tout façon, "les Droits de l'Hom-me, pour des paysans, c'est abstrait et ésotérique ".On comprend mieux dès lors le découragement des jeunes intellectuels khmers qui rencontrent mille et une difficultés à faire fonctionner leur petit groupe de promotion des Droits de l'Homme... Quant à l'UNBRO, qui, pour la première fois (après 9 ans!) a organisé le 10 Décembre 1988 une journée des Droits de l'Homme au cours de laquelle fut distribuée la Déclaration Universelle traduite en cambodgien, elle semble se satisfaire de ce geste annuel dont la symbolique n'est pas négligeable, mais dont l'insuffisance est criante.E- La population des camps est, dans son immense majo-rité, une population désespérée. A la tragédie des années 1970, les survivants ajoutent les souffrances de l'exil et de l'internement. I1s ont, en outre, le sentiment que per-sonne ne se soucie de leur rendre la paix, de leur donner la liberté. Dans l'hôpital de Khao-I-Dang, un homme en-core jeune, bien bâti, amputé des 2 jambes, très haut au-dessus des genoux:- Pourquoi ne viennent-ils pas ?- Qui ? Les Grands. Pourquoi ne viennent-ils pas voir ici comme nous souffrons? Les Chefs cambodgiens et les Dirigeants des Grandes Puissances se moquent des souffrances des petits.Ou encore, à O-Trao, camp dont les chefs de section sont khmers-rouges, cette femme atteinte comme tous les siens de paludisme et, de ce fait, autorisée à quitter avec sa famille une zone du territoire cambodgien contrôlée par les hommes de Ta-Mok, un des plus sanguinaires dignitaires khmers-rouges: "Il fait partout difficile de vivre pour les khmers".Les zones1- Nous entendons par zones, des portions du territoire cambodgien qui sont effectivement administrées par les forces de la Coalition et avec lesquelles l'administration gouvernementale a perdu tout contact. Délimiter ces zones ne signifie pas délimiter l'espace d'influence de la Coali-tion. Celui-ci est beaucoup plus étendu et couvre toutes les parties du pays où la guérilla a réussi à établir des lignes de communication. Il y a donc une distinction à opérer entre zones administrées et zones infiltrées.2- Localiser ces zones et en détem1iner la superficie et la population, c'est du même coup établir les positions res-pectives des forces qui s'affrontent. La tâche est aussi mal aisée que celle qui consistait, dans le rapport consé-cutif à notre dernière visite au Cambodge (document RMJ/8: "Le plus dur reste à faire"), à tracer sur la carte les lignes de pénétration de la guérilla. Les informations qui suivent doivent être donc reçues comme des indica-tions sur des tendances générales. Nous ne prétendons pas fournir un relevé cartographique précis des positions des unes et des autres. Observons tout d'abord que ces zones sont adossées à la frontière thaïlandaise et qu'elles ont été établies à immédiate proximité des camps de ré-fugiés situés de l'autre côté de la frontière. Des pistes, parfois même des routes, coupent la frontière et relient ces camps aux bases militaires de la guérilla ainsi qu’aux localités centrales de ces zones. Les déplacements qui s'effectuent sur ces axes se font avec l'accord de l'armée thaie qui ne cache pas son appui aux forces de la coa-lition.La Thailande confirme ainsi cette fonction de sanctuaire qu'elle remplit depuis 1979 et qui a permis à la coalition et no-tamment à son élément dominant, les khmers-rouges, d'échapper à l'écrasement quand l'armée viêtnamienne occupait le Cambod-ge. Il y a 4 zones contrôlées par les forces de coalition:A- Deux zones rouges, administrées par les hommes de PolPot :a- la première recouvre une bande de plus de 20km de profondeur depuis, au nord, la région de Nong-Phru (en face du Site 8) jusqu'aux abords de la ville por-tuaire de Koh-Kong, au sud (province de Bantéay-Méanchey, de Battambang, de Pursat et de Koh-Kong).b- la deuxième, plus au nord du pays, recouvre une étendue qui se situe entre Samrong et Préah-Vihéar (sans occuper ces 2 localités) avec comme centre important Anglong-Vèng (province d'Ouddâr-Méan-chey et de Préah-Vihéar).Nous ne disposons pas d'éléments suffisamment précis pour fournir un ordre de grandeur quant à la population qui se trouve actuellement dans ces 2 zones.B- Une zone bleue, administrée par le FNLPK avec comme localité centrale Thmar-Puok (province de Bantéay-Méan-chey). Elle compte environ 25 villages et sa population est estimée entre 60.000 et 75.000 habitants.C- Une zone blanche, administrée par le FUNCINPEC, le parti du Prince Sihanouk dont la localité centrale est le petit village de Pong-Toeuk (province d'Ouddâr-Méan-chey). Les Sihanoukistes prétendent administrer 500.000 personnes. Selon d'autres sources, il y aurait 223.000 ha-bitants dans cette zone. En fait, toutes les informations que nous avons pu recueillir permettent d'affirmer qu'il n'y en a que 50.000. Selon des sources américaines, ce chiffre ne serait même atteint qu'en ajoutant aux popu-lations autochtones les personnes amenées du Site B. Il s'agit d'une très petite zone au Nord de Samrong, coincée entre la zone rouge à l'Est et la zone bleue à l'Ouest.3- Il y a lieu de s'interroger sur la portée politique de ces zones. Les dirigeants des factions affirment qu'il s'agit d'exercer, par ce biais, la forte pression sur Phnom-Penh et de conférer une légitimité incontestable à chacun des partis de la Coalition. Le projet est donc éminemment politique. Mais que représentent ces zones? Moins de 10% du territoire national et moins de 3% de la popula-tion du pays. A ce stade, ces zones, qui couvrent des ré-gions de montagnes et de forêts, qui sont peu peuplées et fortement impaludées, qui, aussi loin qu'on remonte dans le passé du Cambodge, ont toujours été peu et mal con-trôlées par l'administration centrale (qu'on se souvienne des jacqueries paysannes qui y éclataient régulièrement avant 1970), ont, en fait, une très faible signification po-litique. Elles n'autorisent pas ceux qui les administrent à se proclamer représentatifs d'une partie significative du Cambodge.Par contre, dans la mesure où ces zones font écran, en plusieurs points, entre les sanctuaires thaïlandais et le Cambodge administré par Phnom-Penh, dans la mesure où elles menacent directement 3 grandes voies de communication (la route qui con -duit du poste frontière de Poipêt à Sisophon RN-5, la Nationale 6 Sisophon-Siemréap et la Nationale 5 Sisophon-Battambang-Phnom Penh), dans la mesure où les mines de pierres précieuses de la région de Païlin sont sous le contrôle des khmers-rouges, l'existence de ces zones confère à la coalition des atouts sur le plan militaire et procure aux khmers-rouges de très précieuses ressources qui leur permettent de consolider, s'il en est besoin, leur position dominante au sein de la Coalition.La localisation de ces zones fournissent également aux khmers-rouges la possibilité d'organiser avec leurs alliés non-communistes une coopération militaire très souvent observée sur le terrain. Il y a en effet une zone rouge à côté de chacune des 2 autres zones.4- Mais l'existence de ces zones pose davantage de pro-blèmes en raison des changements qu'elle provoque à l'intérieur des camps:a- On observe qu'une partie de la population des camps connus (ceux que nous avons visités), mais plus encore la population des camps appelés "camps satel-lites" ( qui gravitent autour des camps connus et dont l'accès est interdit aux organisations humanitaires) s'est déplacée vers ces zones. Sur la base des infor-mations collectées, on peut distinguer trois types de migration:- la migration forcée classique s'agissant des per-sonnes sous le contrôle des khmers-rouges, mais qui se pratique également dans les camps non-com-munistes. Elle concerne la très grande majorité des personnes déplacées;- la migration encouragée: des khmers, formés dans les camps par les organisations humanitaires, sont payés (de 600 à 3.000 baths par mois) pour aller travailler dans les zones. Il s'agit notamment de personnes formées dans le secteur de la santé, qui, de la sorte, délaissent les populations civiles des camps pour aller travailler dans les hôpitaux militaires des zones;- la migration volontaire: des cadres administratifs des factions abandonnent leurs tâches dans les camps pour aller travailler dans les zones ce qui est de nature à favoriser leur situation à l'intérieur du mouvement.b- Très souvent, les personnes qui ont été conduites de force dans les zones ne peuvent retourner dans les camps que si elles sont malades ou si les activités militaires les obligent à fuir. De telle sorte qu'on as-siste progressivement à une mutation de la popula-tion de certains camps. Ainsi par exemple, le camp d'O Trao devient peu à peu le centre médical de la zone rouge qui se trouve de l'autre côté de la fron-tière. Toutes les familles que nous avons rencontrées, dans des sections différentes du camp, souffraient de paludisme.Ce phénomène n'est pas perceptible dans les 2 camps du FNLPK: Site 2, qui est beaucoup trop peuplé, pour être sensible aux migrations concernant la petite zone bleue, et Sok Sann, dont la population n'a pas été déplacée, car le camp est complè-tement isolé en bordure d'une zone rouge.c- Les camps sont devenus, dans l'esprit des dirigeants des factions, la principale source d'approvisionne-ment des zones: argent, équipements, nourriture, mé-dicaments, personnel. A telle enseigne qu'un dirigeant khmer-rouge nous a déclaré n'accepter dans son camp l'UNBRO et les ONG que dans la mesure où elles n'empêchent pas que ce qu'elles fournissent ‘serve à la libération’.Les camps remplissent de plus en plus la fonction de bases arrières des zones. Ce faisant, une partie de l'activité des agences internationales et des ONG profite directement à ces zones: des personnes formées dans les camps vont ensuite travailler dans les zones, des fournitures délivrées aux cadres khmers sont transférées, soit dans les bases militaires, soit dans les zones, les soins prodigués à la population masculine des camps le sont pour une très grande part à une population militaire, etc... L'ac-tion humanitaire est de la sorte au profit d'objectifs politi-ques. Nous y reviendrons.5- En raison de l'attitude adoptée par les Etats-Unis, la pro-blématique des zones devient un élément de nature à affecter gravement les efforts en vue d'un règlement né-gocié du conflit. La très officielle "US Agency for Inter-national Developpement" (USAID) est particulièrement active à l'intérieur des zones administrées respectivement par les sihanoukistes et le FNLPK. On savait déjà que l'USAID avait consacré des fonds et mobilisé du person-nel (4 cadres et 16 entraîneurs) à la formation militaire des jeunes sihanoukistes rassemblés dans la Base 251. Des dizaines de milliers de US$ ont été dégagées à cet effet (voir memoranda de l'USAID Taillant du 1er No-vembre 1989 et du 22 Mars 1990).On savait aussi qu'en Septembre 1990, avec des fonds de l'USAID, une route, réservée au charroi militaire, a été cons-truite entre la localité thaïlandaise de Taphrya (non loin du Site 2) et la "capitale" de la zone bleue, Thmar-Pouk où a été cons-truit, toujours avec les mêmes fonds, un hôpital militaire pour les troupes du FNLPK (450 lits). Une très large assistance est fournie par l'USAID aux populations des 3 zones dans les do-maines de la santé et de l'alimentation sur la base d'une législa-tion adoptée en Novembre 1990. 20.000.000 de US$ sont ainsi affectés à l'assistance "for Cambodia democracy". Malgré les démentis de l'USAID, nous pouvons affirmer que les salaires versés au personnel médical venu des camps proviennent indi-rectement de fonds fournis par l'USAID.On remarquera au passage que l'assistance médicale fournie par l'USAID se pratique en dehors des règles fondamentales de l'éthique médicale en vertu desquelles dès qu'un soldat est bles-sé, il perd toute couleur politique et devient un patient qui a droit aux soins. L'USAID sélectionne les blessés qu'elle soigne. Le CICR n'a pas manqué de souligner cette violation scandaleuse non seulement de l'éthique médicale, mais aussi des conventions et principes qui l'inspirent, s'est retranchée derrière la décision du Congrès des Etats-Unis d'interdire toute aide aux khmers-rouges. La volonté américaine d'agir directement à l'intérieur du Cambodge dans des zones sous contrôle de factions alliées aux khmers-rouges autorise plusieurs questions:A- sur quelle base légale des agents du gouvernement des Etats-Unis opèrent-ils à l'intérieur du territoire cambod-gien ?B- comment le gouvernement des Etats-Unis établit-il une cohérence entre ses déclarations sur sa volonté d'empê-cher le retour des khmers-rouges au pouvoir et une ac-tion, à l'intérieur du territoire cambodgien, dont les prin-cipaux bénéficiaires sont, en dernier ressort, ces mêmes khmers-rouges?C- favoriser la création, le développement et l'expansion de portions d'un territoire national qui échappent à une auto-rité centrale, cela s'appelle organiser la partition du pays. Les Etats-Unis, qui pratiquent cette politique au Cam-bodge, sont-ils désormais en faveur d'une division du pays entre les 4 factions qui s'affrontent?D- quelle est la politique des Etats-Unis? Celle qui consiste à participer, avec les autres membres permanents du Conseil de Sécurité, à la recherche d'un processus de paix susceptible de créer un "environnement politique neutre" favorable à l'organisation d'élection libre? Ou celle qui, par le soutien à 2 groupes politiques assoiffés de pouvoir au point de s'allier aux plus grands criminels qu'ait connus le Cambodge, conduit directement à la libanisa-tion du pays?E- enfin, quelle est la cohérence de la politique des Etats-Unis qui, en Irak, refusent d'intervenir dans une guerre civile qu'ils ont provoquée au nom du droit international et laissent t massacrer les insurgés qu'ils ont encouragés alors qu'au Cambodge, ils prennent, sur le terrain, fait et cause pour les alliés des khmers-rouges dont les atteintes aux Droits de l'Homme "constituent les plus graves vio-lations jamais perpétrées dans le monde depuis la pério-de nazie" (rapport du rapporteur spécial de la Commis-sion des Droits de l'Homme de l'ONU, 1979)? Le droit international n'est-il qu'un prétexte occasionnel ou s'im-pose-t-il également à tous et tout le temps?Le dilemmeIl y a quelques semaines, à l'occasion d'une petite tête don-née en son honneur le représentant du CICR dans la zone fron-talière, sur le point de changer d'affectation, livrait publiquement ses réflexions personnelles: "Pour ma part, je pense que le temps est venu pour la population de la frontière de retourner au Cambodge. Depuis plus de 11 ans, nous aidons ces gens. Nous leur avons fourni de la nourriture, du logement, une as-sistance médicale et tout ce qui était pensable. D'une certaine manière, l'industrie humanitaire a fait d'eux des réfugiés profes-sionnels. Avons-nous jamais cru qu'ils rentreraient un jour chez eux? Comment pourront-ils s'adapter à une vie normale au Cambodge sachant que près d'un tiers d'entre eux n'ont jamais vu leur pays parce qu'ils sont nés dans les camps de la fron-tière? Le blocage politique sur le Cambodge a conduit à une assistance humanitaire permanente. Ce qui fait de nous une partie du problème, quelles qu'aient été et quelles que soient nos bonne intentions. Idéalement, que se passera-t-il si les négo-ciations actuelles échouent, ce que pensent de plus en plus d'ob-servateurs? Personne ne veut que les 300.000 personnes restent dans les camps sur le sol thailandais pour 10 autres années. Par conséquent, ou bien les factions de la résistance vont réaliser leurs propres plans de rapatriement, ou bien nous devrions commencer à réfléchir à une importante opération de rapa-triement même en l'absence d'un règlement politique global. A tout le moins, nous devrons essayer d'assurer à chacun le libre choix de retourner au Cambodge où et quand il veut. Pour pré-senter ceci d'une manière un peu plus provocante: que se pas-serait-il, pensez-vous, si nous cessions de fournir de la nourri-ture aux camps de la frontière? Personne ne mourrait d'inani-tion. Les gens retourneraient au Cambodge ".Ces propos décisifs de M. Jean Jacques Fresard marquent dans la réflexion des responsables de l'action humanitaire à la frontière thailandaise. Ils cristallisent un doute. Ils inaugurent une interrogation. Ils instaurent un débat.Dès 1970, l'ensemble de l'opération humanitaire au profit des réfugiés khmers s'est développée dans l'équivoque. Nul ne conteste la nécessité qu'il y avait alors à porter secours à des populations qui sortaient de 10 années marquées par une guerre d'une extrême violence et par la terreur d'un régime qui avait instauré l'élimination physique comme méthode de gouverne-ment. L'état physique et mental des survivants de cet autre holo-causte justifiait les pires craintes quant à la survie même du peuple khmer.Le comportement criminel de l'Armée royale thaïlandaise fournissait des raisons supplémentaires pour une action rapide dans la zone frontière (la tragédie de Préah-Vihéar constitue un authentique crime contre l'humanité).Mais, première équivoque, la communauté internationale n'a pris en considération que les khmers qui fuyaient le pays ignorant totalement l'immense majorité de ceux qui, dans des conditions hallucinantes, restaient au Cambodge. Il a fallu l'ac-tion décisive du CICR et de longs mois de négociations pour qu'une opération humanitaire d'urgence, limitée dans le temps, soit organisée au profit des habitants du Cambodge. Quasi spon-tanément, les préoccupations politiques avaient pris le pas sur le souci du sort des gens. D'emblée, il y avait un Cambodge ac-ceptable et digne de sollicitude (les réfugiés) et un Cambodge ignoré, nié: le pays lui-même.Deuxième équivoque, la Communauté internationale s'est inclinée devant des priorités politiques étrangères au droit inter-national: elle a accepté que des réfugiés ne soient pas reconnus comme tels, elle a accepté que des êtres humains soient arbi-trairement livrés au contrôle de groupes politiques dont l'un d'-eux venait, pendant près de 4 ans, d'ériger la barbarie en pratique politique quotidienne. Dès l'effondrement du régime de Pol Pot, l'ONU a dû mettre en oeuvre une politique voulue par certaines grandes puissances (Etats-Unis et Chine Populaire principale-ment) qui, dans les faits, bafouait un nombre considérable de conventions internationales protégeant les personnes.Troisième équivoque, conséquence de la précédente: une confusion quasi inévitable s'est établie entre l'action humanitaire et un soutien de facto aux groupes politiques qui contrôlent les camps. Dans la mesure où étaient abandonnées les règles qui appartiennent au droit international et qui régissent dans un con-texte politiquement neutre, l'assistance aux réfugiés, il devenait impossible de séparer action humanitaire et soutien politique.La situation ainsi créée entre 1979 et 1982 est, bien da-vantage que les agences internationales et les ONG qui l'ont acceptée, responsable de cette duplicité. La communauté inter-nationale s'est livrée, pour satisfaire une politique donnée, à une véritable manipulation de l'action humanitaire. Les praticiens ont été placés devant un choix impossible: ou porter assistance et devenir les partenaires de formations politico- militaires (dont les khmers-rouges) ou renoncer à l'aide humanitaire. C'est le di-lemme dans lequel sont plongées depuis bientôt 12 ans les agen-ces internationales (et tout particulièrement l'UNBRO créée spé-cialement par l'ONU pour mettre en oeuvre cette dualité) et les ONG qui travaillent dans la zone frontalière.Aujourd'hui, ainsi qu'en témoignent les propos de Jean Jac-ques Fresard, on entend de plus en plus souvent poser la question: "Comment sortir de cette duplicité à laquelle on nous a contraints? Il Des faits nouveaux alimentent cette interroga-tion: le départ du Cambodge des troupes viêtnamiennes d'occu-pation, en Septembre 1989, la perspective d'une attente encore longue avant un règlement politique du conflit, la conviction grandissante que plus le temps passe, plus l'action humanitaire contribue à soutenir les factions politico-militaires et nourrit de la sorte la guerre civile, l'effacement progressif d'une perception manichéenne de la question khmère, la situation relativement satisfaisante des occupants des camps. En confirmation, ces pro-pos d'une occidentale travaillant, au sein d'une ONG, dans le secteur de la santé: "L'argent fourni aux agences et aux ONG, alors que les factions politico-militaires disposent de leurs moyens propres, c'est autant que ces factions peuvent consacrer à la guerre et ne pas consacrer aux besoins fondamentaux des gens sous leur contrôle. L'action humanitaire à la frontière permet ainsi le financement de la poursuite de la guerre civile. Les ONG soignent les victimes de la guerre. Les ONG fournis-sent aux factions des moyens de subsistance qui leur permettent de ne pas s'occuper de la survie des populations et de consacrer leurs moyens propres à la guerre".Certes, le débat ne fait que commencer alors que le di-lemme existe depuis plus de 10 ans. Et ce débat traverse inéga-lement les agences et les organisations. Ainsi, à l'UNBRO, ins-trument onusien conçu pour une mission de courte durée et qui gère un ensemble de programmes d'assistance depuis 1982, on est conscient des nombreuses critiques que suscite un organe qui est véritablement l'incarnation de ce qu'ont voulu les grandes puissances. Tout en reconnaissant qu'une longue collaboration avec les factions politico-militaires a fatalement créé des rela-tions particulières, on se défend de toute collusion et de toute complaisance. Il faut dire que l'UNBRO est sur la défensive: on parle beaucoup dans la zone frontalière d'un banquet organisé fin de l'an passé à Nong-Phru, en plein zone khmère-rouge à l'intérieur du Cambodge. Quelques hauts responsables de I'-UNBRO auraient été invités par les khmers-rouges et se seraient assis à la même table que Ieng Sary, un des leaders historiques du mouvement, pour fêter le départ du "Deputy Field Coor-dinator" du bureau UNBRO d'Aranyaprathet.Cela étant, les responsables de l'UNBRO que nous avons rencontrés ont manifesté une conscience très précise des fai-blesses et des lourdeurs bureaucratiques de cet organe. Ils se sont également montrés tout à fait conscients du dilemme que représente la poursuite de l'action humanitaire à la frontière. Tout en s'efforçant de s'acquitter du mandat qui est celui de l'UNBRO, ils sont tout à fait lucides quant aux implications politiques de ce mandat.En ce qui concerne les ONG, on peut, sans trop schéma-tiser, distinguer celles qui ne se posent aucune question, celles qui délibérément affichent leur présence comme un soutien à la coalition ou à une des factions et celles qui s'interrogent.Les premières rejettent toute discussion au nom du refus de la politique et en vertu de la primauté de l'action humanitaire.Les deuxièmes, parfois animées par des gens d'extrême-droite venus d'Espagne, des Etats-Unis ou de France, assimilent leur action à une croisade contre le communisme de Phnom-Penh (malgré l'alliance de leurs protégés non-communistes avec les khmers-rouges) et, au travers de programmes dits éducatifs, se livrent à de la formation paramilitaire. Ces ONG soutiennent surtout le FNLPK, défini comme "successeur idéologique du régime républicain khmer soutenu par les Etats-Unis". Certaines travaillent même à l'intérieur du Cambodge, dans la zone bleue.Les troisièmes, qui souvent sont également représentées à Phnom-Penh (15 ONG travaillent actuellement au Cambodge et dans les camps) et disposent dès lors d'une information plus complète et plus nuancée, sont les plus ouvertes à la discussion. Parmi ces dernières, plusieurs agents ont déjà choisi d'aller travailler à l'intérieur du Cambodge.Le débat est ouvert et il va s'amplifier. Ce que nous avons vu dans cette zone frontalière nous incite à souhaiter qu'il soit tranché rapidement et de la meilleure manière: par un règlement politique du conflit qui, avec toutes les garanties requises, ins-taure la paix, ouvre la voie à la démocratie et garantisse les khmers contre tout retour des khmers-rouges au pouvoir. Plus qu'à l'intérieur du Cambodge, on ressent, dans les camps, l'atten-te de la paix et la soif de la liberté.
0 comments