MM. C. Jean-Pierre, ancien du 9ème DIC et membre de l'-UNACITA (Union Nationale des Anciens Combattants d'Indo-chine, des TOE et d'Afrique du Nord) que j'ai présidée, et D. Jean-Robert, ancien du 25ème Dragons et membre de l'UNC-AFN, groupements au sein desquels je donne sou-
vent des conférences, m'ont posé plusieurs questions:
J.P.C. : Pourquoi, en Asie comme en Europe, vivez-vous toujours dans une vieille ville?
G.R. : Toutes les grandes villes changent. Une petite ville qui ne change pas reste traditionnelle avec toute sa riches-se; elle devient un Musée...
J.P.C. : Cela vous plaît cette copie des grandes villes européennes?
G.R. : Nous devons bien nous inspirer de quelque chose. La grande ville s'agrandit, chacun fait ce qu'il veut, ou ce qu'il peut. Il y a le béton d'un côté, et de l'autre les maisons traditionnelles et les bidonvilles...
J.R.D. : Luttez-vous toujours vraiment contre les commu-nistes?
G.R. : Le Préfet de l'Ecole Supérieure de la Guerre Poli-tique à Taïwan m'a dit: si vous voulez lutter contre les com-munistes dans votre pays, primo: ne dites pas du mal d'eux, qu'ils se trompent etc…, car ils ne vous écouteront pas, et ils ont la peau dure! Secundo: ne les tuez pas, car ils ai-ment être des héros. Si vous les tuez, d'autres viendront. Ils viendront se faire tuer; ils aiment se faire tuer. Tertio: n'en-voyez pas vos soldats contre eux, car vous allez perdre du temps et de l'argent.
J.R.D. : Mais alors, selon les Chinois, que fallait-il faire ?
G.R. : La seule chose à faire pour vous débarrasser des
communistes, la seule manière de les battre est de montrer que les gens sont heureux. Faites en sorte qu'ils soient bien nourris, qu'ils aient du travail et qu'ils soient satisfaits de leur vie. Alors les communistes ne pourront rien faire du tout.
J.R.D. : Est-ce qu'à votre avis, les responsables au Cam-bodge ont écouté votre opinion ?
G.R. : Les gens n'écoutent rien du tout. Tout le monde a de bonnes intentions. Pour que la vie soit plus heureuse pour tout le monde, à l'époque où j'étais à la Présidence du Conseil, personne ne peut s'empêcher d'être médiocre. La médiocrité est notre problème…
J.R.D. : C'est le cas partout.
G.R. : Oui, comme partout d'ailleurs. Une fois que vous entrez du gouvernement, celà devient une routine. Le gou-vernement a ses intérêts propres, qui ne correspondent plus aux intérêts du peuple. Mais si vous ne jouez pas, ils ne travailleront plus pour vous et ce sera votre perte.
J.P.C. : La bureaucratie devient une fin en soi...
G.R. : Son intérêt est de se maintenir en place et d'avoir une bonne vie.
J.P.C. : En fait, le fossé entre riches et pauvres tend à augmenter plutôt que diminuer.
G.R. : Il augmente un peu tous les jours.
J.P.C. : En fait les études montrent que le fossé entre pauvres et riches s'agrandit...
G.R. : Vous devriez faire attention à ce que vous dites. Parce que les paysans khmers ne sont certainement pas de-venus plus pauvres. Leur situation, s'il n'y avait pas eu la guerre, serait bien meilleure qu'il y a 50 ans, mais les nou-veaux riches sont devenus beaucoup, beaucoup trop riches.
J.P.C. : Avec le résultat pourtant que l'argent de cette nation est gaspillé pour la folie du roi...
G.R. : D'abord, je tiens à vous préciser que cette riche Nation n'a pas d'argent car sa caisse nationale a été vidée par l'administration coloniale pour la réalisation du projet français à Haï Phong (Tonkin), le port international. Après l'indépendance cette nation mène une politique d'austérité dans tous les domaines...Si le gouvernement serrait plus, il se ferait des ennemis parmi les milliardaires qui sont beau-coup plus puissants qu'un groupe de gens idéalistes.
J.P.C. : Alors ce que vous dites, c'est que les milliardaires sont plus puissants que le Gouvernement ?
G.R. : Cela va de soi, ils ont plus d'argent... Mon grand-père fût un grand mandarin et un des plus grands milliar-daires de ce pays... Et mon oncle Gan est le plus grand mil-liardaire et un des fondateurs de Singapour.
J.P.C. : Et alors que faire ?
G.R. : Je ne sais pas. Ceci est le monde n'est-ce pas? Ce monde où nous survivons est un monde monétaire. Les gens qui ont de l'argent ont de grands pouvoirs, même aux Etats-Unis. Si vous voulez être président des USA, il faut d'abord être plusieurs fois millionnaire. Quelle chance aurait un ci-
toyen ordinaire de devenir président? Aucune. Personne ne lui donnerait la moindre attention.
J.P.C. : A mon avis, il y a déjà plusieurs pays démocra-tiques en Europe (la Suisse, la Hollande, les pays scandi-naves par exemple) dans lesquels l'argent n'a pas la toute-puissance que vous lui attribuez.
G.R. : Ce sont de petits pays. De bonnes choses peuvent être faites avec moins de gens. Mais notre population (seu-lement au Cambodge) est passée de 7 millions en 1970 à 9 en 1975 et pourrait atteindre plus de 15 millions vers l'an 2000 s'il n'y a pas de nouveaux massacres. Les valeurs ont changé. L'argent est devenu un facteur important. Je ne sais pas comment on peut préparer 15.000.000 de gens moraux.
J.R.D. : On vous dit fervent royaliste, Est-ce vrai?
G.R. : Il faut bien être et croire en quelque chose. J'aime la république mais 95% de la masse khmère aime la monar-chie. Etant un patriote je dois respecter la volonté de la majorité. Et je n'ai jamais détesté mon roi, jusqu'à présent! ...Pour la masse, le roi est une force de modération dans ce pays. Sans le roi, tous se battraient pour s'emparer du pou-voir. Donc en tant que patriote, il me faut défendre le roi...
J.R.D. : Mais cette société pourra-t-elle se transformer, dans ce respect quasi absolu des hiérarchies, ne faut-il pas busculer le destin?
G.R. : Le royaume du Cambodge avant 1970 est un pays très riche et surdéveloppé sur le plan alimentaire et culturel. Vous parlez de "transformer"! Transformer la société khmè-re vers quoi?
J.R.D. : Vers plus de probuté et justice sociale…
G.R. : Sans le roi, nous aurions la révolution la plus sang -lante de l'histoire mondiale. Parce que, lorsque les khmers commencent à s'entretuer, ils le font très bien. Je ne vois pas d'autre solution. Vous pouvez me dire que nous n'évo-luons pas en restant "Monarchie constitutionnelle". Mais vers quoi voulez-vous évoluer?
J.R.D. : Une société plus juste...
G.R. : Nous y arriverons... il faudra du temps. Nous y arri-verons, si nous nous débarrassons de la médiocrité. Un gou- vernement avec une vision, un savoir-faire... J'ai été avant 1970 à la Présidence du Conseil des Ministres au Secré-tariat d'Etat chargé des Missions Spéciales et de la Sécu-rité, je connais celà très bien. Issu de famille aristocrate et riche, à mon avis je n'ai pas été médiocre. Mais j'ai trouvé très difficile de travailler avec la médiocrité... Moi tout seul je ne pouvais plus. C'est pour celà que j'ai refusé toutes les propositions que l'on m'a faites...
J.R.D. : Vous ne voulez pas être le prochain chef de gou-vernement ?
G.R. : Non! J'étais un combattant (un homme de terrain) et j'ai déjà dépassé 60 ans, je n'ai plus assez d'énergie pour être un "Chef militaire". Je rêve d'être après la guerre, un bon père et un bon mari pour ma famille.
vent des conférences, m'ont posé plusieurs questions:
J.P.C. : Pourquoi, en Asie comme en Europe, vivez-vous toujours dans une vieille ville?
G.R. : Toutes les grandes villes changent. Une petite ville qui ne change pas reste traditionnelle avec toute sa riches-se; elle devient un Musée...
J.P.C. : Cela vous plaît cette copie des grandes villes européennes?
G.R. : Nous devons bien nous inspirer de quelque chose. La grande ville s'agrandit, chacun fait ce qu'il veut, ou ce qu'il peut. Il y a le béton d'un côté, et de l'autre les maisons traditionnelles et les bidonvilles...
J.R.D. : Luttez-vous toujours vraiment contre les commu-nistes?
G.R. : Le Préfet de l'Ecole Supérieure de la Guerre Poli-tique à Taïwan m'a dit: si vous voulez lutter contre les com-munistes dans votre pays, primo: ne dites pas du mal d'eux, qu'ils se trompent etc…, car ils ne vous écouteront pas, et ils ont la peau dure! Secundo: ne les tuez pas, car ils ai-ment être des héros. Si vous les tuez, d'autres viendront. Ils viendront se faire tuer; ils aiment se faire tuer. Tertio: n'en-voyez pas vos soldats contre eux, car vous allez perdre du temps et de l'argent.
J.R.D. : Mais alors, selon les Chinois, que fallait-il faire ?
G.R. : La seule chose à faire pour vous débarrasser des
communistes, la seule manière de les battre est de montrer que les gens sont heureux. Faites en sorte qu'ils soient bien nourris, qu'ils aient du travail et qu'ils soient satisfaits de leur vie. Alors les communistes ne pourront rien faire du tout.
J.R.D. : Est-ce qu'à votre avis, les responsables au Cam-bodge ont écouté votre opinion ?
G.R. : Les gens n'écoutent rien du tout. Tout le monde a de bonnes intentions. Pour que la vie soit plus heureuse pour tout le monde, à l'époque où j'étais à la Présidence du Conseil, personne ne peut s'empêcher d'être médiocre. La médiocrité est notre problème…
J.R.D. : C'est le cas partout.
G.R. : Oui, comme partout d'ailleurs. Une fois que vous entrez du gouvernement, celà devient une routine. Le gou-vernement a ses intérêts propres, qui ne correspondent plus aux intérêts du peuple. Mais si vous ne jouez pas, ils ne travailleront plus pour vous et ce sera votre perte.
J.P.C. : La bureaucratie devient une fin en soi...
G.R. : Son intérêt est de se maintenir en place et d'avoir une bonne vie.
J.P.C. : En fait, le fossé entre riches et pauvres tend à augmenter plutôt que diminuer.
G.R. : Il augmente un peu tous les jours.
J.P.C. : En fait les études montrent que le fossé entre pauvres et riches s'agrandit...
G.R. : Vous devriez faire attention à ce que vous dites. Parce que les paysans khmers ne sont certainement pas de-venus plus pauvres. Leur situation, s'il n'y avait pas eu la guerre, serait bien meilleure qu'il y a 50 ans, mais les nou-veaux riches sont devenus beaucoup, beaucoup trop riches.
J.P.C. : Avec le résultat pourtant que l'argent de cette nation est gaspillé pour la folie du roi...
G.R. : D'abord, je tiens à vous préciser que cette riche Nation n'a pas d'argent car sa caisse nationale a été vidée par l'administration coloniale pour la réalisation du projet français à Haï Phong (Tonkin), le port international. Après l'indépendance cette nation mène une politique d'austérité dans tous les domaines...Si le gouvernement serrait plus, il se ferait des ennemis parmi les milliardaires qui sont beau-coup plus puissants qu'un groupe de gens idéalistes.
J.P.C. : Alors ce que vous dites, c'est que les milliardaires sont plus puissants que le Gouvernement ?
G.R. : Cela va de soi, ils ont plus d'argent... Mon grand-père fût un grand mandarin et un des plus grands milliar-daires de ce pays... Et mon oncle Gan est le plus grand mil-liardaire et un des fondateurs de Singapour.
J.P.C. : Et alors que faire ?
G.R. : Je ne sais pas. Ceci est le monde n'est-ce pas? Ce monde où nous survivons est un monde monétaire. Les gens qui ont de l'argent ont de grands pouvoirs, même aux Etats-Unis. Si vous voulez être président des USA, il faut d'abord être plusieurs fois millionnaire. Quelle chance aurait un ci-
toyen ordinaire de devenir président? Aucune. Personne ne lui donnerait la moindre attention.
J.P.C. : A mon avis, il y a déjà plusieurs pays démocra-tiques en Europe (la Suisse, la Hollande, les pays scandi-naves par exemple) dans lesquels l'argent n'a pas la toute-puissance que vous lui attribuez.
G.R. : Ce sont de petits pays. De bonnes choses peuvent être faites avec moins de gens. Mais notre population (seu-lement au Cambodge) est passée de 7 millions en 1970 à 9 en 1975 et pourrait atteindre plus de 15 millions vers l'an 2000 s'il n'y a pas de nouveaux massacres. Les valeurs ont changé. L'argent est devenu un facteur important. Je ne sais pas comment on peut préparer 15.000.000 de gens moraux.
J.R.D. : On vous dit fervent royaliste, Est-ce vrai?
G.R. : Il faut bien être et croire en quelque chose. J'aime la république mais 95% de la masse khmère aime la monar-chie. Etant un patriote je dois respecter la volonté de la majorité. Et je n'ai jamais détesté mon roi, jusqu'à présent! ...Pour la masse, le roi est une force de modération dans ce pays. Sans le roi, tous se battraient pour s'emparer du pou-voir. Donc en tant que patriote, il me faut défendre le roi...
J.R.D. : Mais cette société pourra-t-elle se transformer, dans ce respect quasi absolu des hiérarchies, ne faut-il pas busculer le destin?
G.R. : Le royaume du Cambodge avant 1970 est un pays très riche et surdéveloppé sur le plan alimentaire et culturel. Vous parlez de "transformer"! Transformer la société khmè-re vers quoi?
J.R.D. : Vers plus de probuté et justice sociale…
G.R. : Sans le roi, nous aurions la révolution la plus sang -lante de l'histoire mondiale. Parce que, lorsque les khmers commencent à s'entretuer, ils le font très bien. Je ne vois pas d'autre solution. Vous pouvez me dire que nous n'évo-luons pas en restant "Monarchie constitutionnelle". Mais vers quoi voulez-vous évoluer?
J.R.D. : Une société plus juste...
G.R. : Nous y arriverons... il faudra du temps. Nous y arri-verons, si nous nous débarrassons de la médiocrité. Un gou- vernement avec une vision, un savoir-faire... J'ai été avant 1970 à la Présidence du Conseil des Ministres au Secré-tariat d'Etat chargé des Missions Spéciales et de la Sécu-rité, je connais celà très bien. Issu de famille aristocrate et riche, à mon avis je n'ai pas été médiocre. Mais j'ai trouvé très difficile de travailler avec la médiocrité... Moi tout seul je ne pouvais plus. C'est pour celà que j'ai refusé toutes les propositions que l'on m'a faites...
J.R.D. : Vous ne voulez pas être le prochain chef de gou-vernement ?
G.R. : Non! J'étais un combattant (un homme de terrain) et j'ai déjà dépassé 60 ans, je n'ai plus assez d'énergie pour être un "Chef militaire". Je rêve d'être après la guerre, un bon père et un bon mari pour ma famille.
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